Ce qu'il y a de commun entre Istambul et Rhodes, n'en déplaise à Kostas qui m'affirmait qu'Istambul était une ville grecque, ce sont les chats. L'amour pour les chats. Ils sont des dizaines dans les rues, couchés par petits groupes sur leurs territoires, nourris pas les habitants du quartier, gras comme des pachas...
Pendant ce temps, dans le Bosphore, un tanker échoué couché sur le flanc est tiré par un remorqueur au milieu de dizaines d'autres navires géants à l'ancre.
Au musée archéologique, grand choc esthétique. Le tombeau dit d'Alexandre d'un roi de Sidon nous laisse sans voix. Cette suite de sarcophages d'une intense beauté macabre nous occupe pendant des heures. Sur une tombe de l'époque impériale romaine, une scène à briser le coeur : une femme, probablement la défunte, étreint d'un dernier baiser un angelot, tandis qu'un autre petit Eros, retenu par un compagnon, essaye de rattraper l'âme de la morte s'envolant sous la forme d'un coeur ailé... Sur la gauche, un autre ange s'apprête à jeter une couronne dans le feu, alors qu'un ami s'accroche à lui pour l'en empêcher. Scène déchirante de séparation des amoureux qui n'arrivent pas à se résoudre à se laisser séparer par la mort... 1800 ans plus tard, le message est intacte, et passe : l'amour est une vérité anthropologique. Comme disait Marguerite, oui, le mot amour existe...
Les vestiges de Troie sont l'occasion d'un autre type de tristesse. Hissarlik VII a, comme l'appellent les archéologues, un nom qui me revient de mon passé d'helléniste, la Troie du récit homérique, figure parmi les autres couches archéologiques trouvées à Hissarlik. Neuf ou dix au total, et la strate VIIa n'en est qu'une parmi d'autres. Est-ce que les Allemands qui ont fouillé le site ont emporté les plus beaux vestiges? Ici il ne reste que des morceaux de tesson, des bribes de céramique, des fragments de fibule, à peine de quoi imaginer - le fantôme d'un village anatolien du deuxième millénaire avant J.C... La salle qui abrite les vestiges mésopotamiens est plus impressionante avec les céramiques vernissées de Babylone.
Istambul est parcourue de citernes souterraines construites à l'époque byzantine. La plus célèbre est la citerne Basilica, construite dans le quartier du Grand palais impérial, à deux pas de Sainte-Sophie, par l'empereur Théodose. Cet empereur fanatique qui ferma les temples païens, interdit le culte des anciens dieux, fit briser les statues profanes, fut le grand fossoyeur de la culture greco-romaine. Il fit transporter à Constantinople tout ce qui lui paraissait "acceptable" (on dirait maintenant "religieusement correct") dans les chef-d'oeuvre de l'antiquité qui avaient résisté au temps. Quelques-uns survécurent jusqu'à la misérable quatrième croisade de 1204, où les croisés, incultes, leur firent un sort - sous la direction de cette infâme république de Venise, marais de marchands mécréants... On peut voir une trace de tout cela dans les citernes, entre autre, à Istanbul. Les magnifiques colonnes de marbre et granit qui soutiennent ses voutes sont les colonnes de ces temples antiques jetés au sol par Théodose. Les plus beaux palais finissent toujours en matériau de fondation pour les édifices grossiers à venir... Quel drôle d'endroit que cette citerne, magnifique tombeau d'une civilisation... Quel cynique architecte a pris le soin, pour une réserve d'eau la plupart du temps inondée, souterraine et donc invisible, de l'orner de si belles colonnes aux chapiteaux si richement décorés... Superbe et affligeant... Tout le quartier historique d'Istanbul invite en permanence à ces douloureuses réflexions, et la beauté y côtoie toujours le signe de sa très prochaine décadence. Les ruines sont une lèpre sur le visage grimaçant des empires.
Pendant ce temps, dans le Bosphore, un tanker échoué couché sur le flanc est tiré par un remorqueur au milieu de dizaines d'autres navires géants à l'ancre.
Au musée archéologique, grand choc esthétique. Le tombeau dit d'Alexandre d'un roi de Sidon nous laisse sans voix. Cette suite de sarcophages d'une intense beauté macabre nous occupe pendant des heures. Sur une tombe de l'époque impériale romaine, une scène à briser le coeur : une femme, probablement la défunte, étreint d'un dernier baiser un angelot, tandis qu'un autre petit Eros, retenu par un compagnon, essaye de rattraper l'âme de la morte s'envolant sous la forme d'un coeur ailé... Sur la gauche, un autre ange s'apprête à jeter une couronne dans le feu, alors qu'un ami s'accroche à lui pour l'en empêcher. Scène déchirante de séparation des amoureux qui n'arrivent pas à se résoudre à se laisser séparer par la mort... 1800 ans plus tard, le message est intacte, et passe : l'amour est une vérité anthropologique. Comme disait Marguerite, oui, le mot amour existe...
Les vestiges de Troie sont l'occasion d'un autre type de tristesse. Hissarlik VII a, comme l'appellent les archéologues, un nom qui me revient de mon passé d'helléniste, la Troie du récit homérique, figure parmi les autres couches archéologiques trouvées à Hissarlik. Neuf ou dix au total, et la strate VIIa n'en est qu'une parmi d'autres. Est-ce que les Allemands qui ont fouillé le site ont emporté les plus beaux vestiges? Ici il ne reste que des morceaux de tesson, des bribes de céramique, des fragments de fibule, à peine de quoi imaginer - le fantôme d'un village anatolien du deuxième millénaire avant J.C... La salle qui abrite les vestiges mésopotamiens est plus impressionante avec les céramiques vernissées de Babylone.
Istambul est parcourue de citernes souterraines construites à l'époque byzantine. La plus célèbre est la citerne Basilica, construite dans le quartier du Grand palais impérial, à deux pas de Sainte-Sophie, par l'empereur Théodose. Cet empereur fanatique qui ferma les temples païens, interdit le culte des anciens dieux, fit briser les statues profanes, fut le grand fossoyeur de la culture greco-romaine. Il fit transporter à Constantinople tout ce qui lui paraissait "acceptable" (on dirait maintenant "religieusement correct") dans les chef-d'oeuvre de l'antiquité qui avaient résisté au temps. Quelques-uns survécurent jusqu'à la misérable quatrième croisade de 1204, où les croisés, incultes, leur firent un sort - sous la direction de cette infâme république de Venise, marais de marchands mécréants... On peut voir une trace de tout cela dans les citernes, entre autre, à Istanbul. Les magnifiques colonnes de marbre et granit qui soutiennent ses voutes sont les colonnes de ces temples antiques jetés au sol par Théodose. Les plus beaux palais finissent toujours en matériau de fondation pour les édifices grossiers à venir... Quel drôle d'endroit que cette citerne, magnifique tombeau d'une civilisation... Quel cynique architecte a pris le soin, pour une réserve d'eau la plupart du temps inondée, souterraine et donc invisible, de l'orner de si belles colonnes aux chapiteaux si richement décorés... Superbe et affligeant... Tout le quartier historique d'Istanbul invite en permanence à ces douloureuses réflexions, et la beauté y côtoie toujours le signe de sa très prochaine décadence. Les ruines sont une lèpre sur le visage grimaçant des empires.