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MESMOTSMESMONDES

Rhodes. Dix-septième jour.

1/25/2012

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Je me lève avec le beau temps. Je vais voir Angeliki pour lui demander d'imprimer quelque chose pour moi. Elle me répond gênée que je dois faire la vaisselle avant de partir et descendre la bouilloire électrique. Je n'ai laissé dans l'évier qu'une assiette, un verre et trois couverts sales à laver... Elle me dit que la femme de ménage se plaint. Je comprends et lui dis que je m'exécuterai... Je quitte ces lieux qui puent le ressentiment.
Je cours au musée archéologique retrouver ce qu'il y a de plus beau dans cette île : le passé.
Dans la première salle remplie d'objets votifs trouvés dans l'immense nécropole de la ville, une petite poterie suspendue représente un homme tout rond assis en train de déféquer, les mains sur le ventre... Quelle drôle d'idée de mettre ça dans sa tombe...
Je poursuis mon périple dans les salles qui couvrent toute la préhistoire et l'histoire de la Grèce antique à travers ces centaines d'objets trouvés dans les tombes et les puits à offrande des sanctuaires. Deux belles têtes du dieu Archéloos sont troublantes. Sa tête mi-homme mi-boeuf présente des oreilles et deux cornes, et sous le menton deux protubérances carrées, figuration abstraite de sa barbe : on dirait un diable, un de ces méchants de comic books, un monstre de film d'anticipation. Eternité des formes.
Plus loin, une curieuse petite flasque de céramique blanche est décorée d'un jeune Africain habillé d'une tenue "exotique" très typisée, comme une djellaba à franges, avec palmier en fond. Un vrai petit document d'ethnographie, exotiste avant l'heure. Je serai ravi et étonné de trouver le même objet au musée d'archéologie d'Istanbul trois jours plus tard... Cela devait être un objet produit en série, comme les poupées de danseuses de flamenco et les assiettes peintes représentant le Sacré-Coeur.
Les salles sont toujours aussi bien entretenues, dotées de panneaux d'explication très bien documentés en grec et anglais. J'avance lentement. Les gardiens qui attendent impatiemment mon départ, ferment les portes des salles derrière moi, l'une après l'autre. Quand je sors de la dernière, prêt à aller ailleurs, "Ca y est, entre hier et aujourd'hui, vous avez tout vu, vous pouvez partir maintenant", me dit un gardien. Bien mon capitaine.
Il fait beau. Je me perds dans les ruelles à nouveau. Tout seul, j'erre cette fois-ci dans la partie ouest de la vieille ville. Bien des ruines, qui laissent beaucoup de place aux jardins cachés derrières les murets, on voit pointer ici un palmier, là un bougainvillée. Cette partie est pourtant bien entretenue, rénovée en partie. Ce mélange d'habitations et de ruines propres est typiquement romantique. Il reste aussi beaucoup de maisons ottomanes où les fenêtres orientales et les bow-windows de bois n'ont pas été effacés pour être plus "gothiquement" correctes. 
Je me rends compte qu'ici tout le monde me parle en grec. C'est sûrement ma barbe - signe distinctif de l'homme grec... Je ne vois pas beaucoup d'enfants : je me demande si les petits garçons déjà naissent barbus?
Je rentre travailler et le soir retourne avec mon portable au Montage. J'y travaille, mais suis chassé de ma table vers 21h, quand la salle se remplit de réservations. Je finis sur une petite table haute au fond, à manger des très mauvaises pâtes. Quand l'ordinateur n'a plus de batteries, je rentre. Il est presque minuit. Je dois faire ma valise. Demain je pars pour Istanbul...
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La trace de réduction balsamique en tube et la pluie de baies roses qui au premier coup d'oeil révèlent l'inanité de cette assiette de pâtes...
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Rhodes. Seizième jour.

1/24/2012

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Je vais voir Angeliki dans son bureau pour lui dire que je pars vendredi et lui demander de me réveiller le matin, et aussi de me réserver un taxi. Nous discutons. Elle me demande enfin qu’est-ce que j’écris. Je lui explique brièvement. Elle me dit qu’elle aime la cuisine chinoise. Elle lui manque, elle a habité à Hong Kong. Elle a aussi habité à Londres, et pourtant  me demande ce qui est connu dans la cuisine indienne. Je lui parle des currys. Elle me dit que bien sûr, elle connaît. Elle me dit que les Indiens et les Chinois n’aiment pas la cuisine grecque, quand ils viennent, ils trouvent que c’est fade. Mais la cuisine grecque est simple et délicieuse. Etc. J’acquiesce. J’acquiesce à tout. Je sens que ce n’est pas une conversation, il s’agit d’Angeliki partageant ses idées sur la gastronomie. Au cas où cela pourrait m’aider pour mon livre. En plus, elle doit me réveiller vendredi matin, donc…

Je lui demande tout de même si elle n’a pas eu envie de rester à l’étranger. Pourquoi elle est rentrée. Et si maintenant, avec son contrat au Centre qui se termine en avril, elle a des projets, des pistes ? Elle est revenue au pays pour s’installer. Se marier. Elle a la trentaine, il faut faire sa vie de femme. On sent qu’elle est revenue à contrecœur, sans vraiment le choix, comme les saumons. Pour l’avenir, elle ne sait pas encore. Elle est professeur d’anglais, mais pas titulaire. Ce sera dur de trouver un job dans l’enseignement, l’éducation nationale est saturée, elle va voir…

Je pars vers le musée d’archéologie situé dans l’hôpital des Hospitaliers de Saint-Jean. Construit par Jean d’Amboise au XVe siècle, c’est le plus grand bâtiment de l’île datant de cette époque qui soit resté en aussi bon état. C’est une bâtisse spacieuse, fonctionnelle, construite autour d’une grande cour avec des dépendances. Une sorte de cube gothique avec le charme indéniable des vieilles pierres, mais une simplicité provinciale… Pas de fioritures, un plan sans surprise, des escaliers qui montent tout droit marche après marche sans rambarde, la même pierre poreuse du cru… L’endroit me séduit cependant par ses espaces, son silence, son vide. Même les œuvres d’art exposées, dans la grand-salle, semblent comme invitées, discrètes le long du mur…

Je me régale. Il y a tant d’années que je n’ai vu d’art grec ou romain de visu… Les stèles des chevaliers sont bien sûr touchantes, mais elles ne vous parlent pas. Elles sont muettes. Comme un visage sans regard. Alors que dans les salles attenantes, les œuvres grecques et hellénistiques tout de suite créent un lien à travers les millénaires… A vrai dire, ce sont des copies petit format d’œuvres célèbres de grands maîtres de l’époque classique que les bourgeois du coin, deux ou trois cents ans plus tard, commandaient pour décorer l’atrium de leur villa. Un peu comme, maintenant, une reproduction de Mona Lisa dans le salon, ou une Vénus de Milo dans le jardin… Un goût bourgeois, on aimait l’Aphrodite dite « pudique » qui, surprise au sortir du bain, fait le geste de relever son voile d’une main, alors que l’autre cache son sein… On a perdu l’original depuis longtemps, alors on se contente de modèles, de pâles reproductions – et ceux qui sont ici sont à Praxitèle ce qu’une pietà en bakélite est à Michel-Ange… Mais à l’ère de la reproduction mécanique de l’œuvre d’art, même une piètre copie d’un atelier d’esclaves du Ier siècle a de l’aura…

Pourtant l’école de sculpture rhodienne était reconnue. C’est elle qui à l’époque hellénistique nous a donné les chefs-d’œuvre baroques que sont le Laocoon du Vatican ou la victoire de Samothrace du Louvre. Mais il n’en reste rien sur place , ou presque. Je suis plus touché par une incroyable tête de femme venue d’une tombe de notable, une œuvre locale sans prétention, d’une présence troublante. Comme aussi cette stèle de tombeau représentant une fille éplorée disant adieu à sa mère. Peut-être que j’aime ces œuvres car elles me parlent d’autre chose au-delà d’elles-mêmes, et que leur expression plastique renvoie à des êtres, des sentiments, des situations très concrètes… Très anciennes, mais toujours palpables.

Au fond du petit parc, dans le jardin d’une ancienne maison ayant miraculeusement gardé son intérieur ottoman à l’intérieur de l’enceinte du musée (et ne l’ayant conservé qu’à des fins muséographiques), sous un portique, de superbes mosaïques romaines sont exposées aux murs. Un petit moment où pointerait le syndrome de Stendhal, si les gardiens ne venaient me chasser : il est trois heures.

Je pars à la recherche du restaurant recommandé par Angeliki dans la ville nouvelle au sud. Quartier gris, un peu déprimant, de villas fermées et de résidences. La taverne est fermée l’hiver. Je fais demi-tour, et rentre manger dans le centre où j’ai comme mes habitudes.
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Rhodes. Quinzième jour.

1/18/2012

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Beau temps à nouveau. Mais je reste toute la journée à travailler dans ma chambre.
Le soir, je décide d'aller travailler et manger dehors, au café Montage sur la croisette que m'avait recommandé Alexander. C'est un endroit sympathique, bien décoré, chaleureux, avec cuisine ouverte. Je mange mal, mais je passe un moment agréable et j'écris bien.
En sortant, je rentre par la plage de galets, ces galets que l'on trouve partout au sol des maisons, des rues... Je vais toucher la mer, étrangement l'eau est chaude alors que la nuit est froide, battue par le vent.
Je pense à tout ce que je dis, écris et pense de bêtises sur les stéréotypes nationaux. Je pense que la plupart des gens vivent encore entourés des gens de leur milieu, de leur classe, de leur tribu, et méprisent les autres, essayent de les éviter, se sentent aliénés d'avoir à travailler et vivre avec ces derniers. On ne cherche qu'à fréquenter des gens qui nous correspondent, c'est à dire des êtres correspondant à nos penchants. Au fond, c'est une manière essentialiste d'aborder les relations sociales. Je n'aime que ceux que je peux aimer, ceux qui sont toujours déjà préalablement aimables pour moi. Ce que l'on appelle les élections affectives n'est qu'une cooptation déterminée. On ne cherche à connaître que ce que l'on connaît déjà, et quand on croit se risquer à l'inverse, ce n'est rien d'autre qu'une attirance pour ce que l'on croit déjà connaître de l'inconnu ou pour les contours les plus banals de ce dernier pris comme concept - l'Inconnu. Et c'est sur ce fond que nous espérons construire la mondialisation, l'Europe, nos nations melting-pots, la transnationalité... Je n'aurais pas dû manger ce hamburger...
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Rhodes. Quatorzième jour.

1/17/2012

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Pluie et vent. A nouveau. Ce foutu climat bipolaire...
J'ai travaillé toute la journée sans sortir, comme un petit soldat.
Nulla dies sine linea. Je pense au vieil impératif. Dans le passé, je me reprochais souvent de ne pas l'appliquer assez. Et puis ici, à reprendre mon curriculum, à voir toutes les foutaises que j'ai écrites, et tout ce que je n'y ai pas mis, ce qui n'est pas publié ni publiable... A l'ère des textos, des emails, des Facebook, des Twitter, en fait, même le plus illettré ne passe pas un jour sans écrire une dizaine de lignes au moins...
Je suis sorti pour porter mon linge à laver au Lavomatic. Très bien fait, puisqu'une charmante dame se charge de le laver, sécher, plier, pour 6 euros. Elle rentre dans mon top 10 des Grecs aimables.
Je vais pendant ce temps écrire au café Pueblo, en prenant une bière. Enfin, plusieurs. L'endroit est joli, dans une vieille demeure rénovée, très branché, un peu aseptisé peut-être. A 20h, il est plein, ce qui est fascinant pour un lundi soir de pluie... Quelque chose me frappe, puis me dérange, sous l'odeur de fumée de cigarettes. Il flotte un fort parfum de lessive, ces adoucissants bon marché qui non seulement adoucissent, mais surtout impriment aux vêtements une odeur estampillée "propre". Avec ça sur le dos, vous pouvez ne pas prendre de douche, avoir le cul gras et l'entrejambe douteuse, vous sentez propre à la ronde. Cela me rappelle les Américains qui eux aussi raffolent de ces odeurs de lessive ostentatoires. On reproche aux Français leur usage hypocrite du parfum. Moi je dis : trop propre pour être honnête, et je me méfie de ces étalages de "fraîcheur". En France, je me demandais parfois si ce n'était pas une question de classe, les classes "laborieuses" sentant plus l'adoucissant que les bourgeois et les bobos, plus douteux sur l'hygiène - car un peu de crasse est classe, et l'odeur corporelle a été revalorisée depuis 50 ans - c'est désormais un privilège de classe d'oser sentir mauvais. Puer la sueur, la promiscuité, la misère n'appartient plus exclusivement aux pauvres, qui ont au moins une machine à laver. En France, le peuple sent bon. Enfin... Meilleur qu'autrefois, bien sûr ce que je dis est très relatif... Et bien sûr, n'a aucune valeur. J'espérais tenir une idée, peut-être une théorie, mais je me rends compte à l'usage que ça ne vaut rien. J'abandonne là. Après tout l'odeur de la lessive des Grecs tient peut-être aux produits proposés par Unilever, qui semble avoir le monopole ici, ou à leurs modes d'emploi concernant les quantités à utiliser qui sont mal traduits...?
Je vais dans un restaurant qui s'affiche, chose rare, comme une "taverne à poissons". J'ai désespérément envie d'un poisson grillé. Je suis le seul client. Le patron obèse ne me dit rien qui vaille, mais trop tard, il vient en personne s'occuper de moi. Une soupe, qu'il me recommande chaudement - le plus mauvais brouet à base de fécule, de bas morceaux de chair de poisson et de rares légumes. Une piteuse daurade, minuscule, qu'il vient me découper à la table sur plateau comme si nous étions au Meurice - elle baigne dans le citron et l'huile d'olive amère. Garnitures : les plus mauvais légumes de ma vie (chou-fleur bouilli, herbes style amarante, bouillies, courgettes bouillies - le tout SANS aucun goût - hallucinant). Des pommes de terre frites maison, qui rattrapent le tout, avec un riz pilaf moins catastrophique que le reste. Le tout accompagné d'un quart de piquette de blanc local... 30 euros pour cette horreur. Je me souviens quand la Grèce était un pays abordable. Quel intérêt présente-t-elle maintenant que l'adoption de l'euro et le succès touristique l'a projeté dans une inflation folle la mettant sur le même pied que les autres pays d'Europe? Pas assez classe et trop bondée pour les gens qui en ont les moyens, trop chère pour ceux qui ne les ont pas... A ces prix-là, je comprends que les gens partent en masse vers le sud-est asiatique, aussi glauque mais moins cher, et où, au moins en général, on mange mieux... Le tourisme de masse a réalisé ce paradoxe qu'il faut être millionnaire pour voyager bien, alors qu'il n'a jamais été si simple ni si commun de voyager. La démocratisation a aplani le monde, transformé une partie de ce dernier en aire de jeux pour une autre, et confirmé l'élitisme du voyage, celui des livres de voyageurs, celui des Segalen, Kerouac et Bouvier.
Encore une fois, mon pessimisme par rapport à notre monde et à la Grèce en particulier (ce que j'en vois, c'est à dire rien, je le confirme une nouvelle fois...) vient d'un mauvais repas. N'est-ce pas un paradoxe que j'en sois rendu à ces extrémités alors que je suis venu écrire un livre sur la gastronomie?
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Rhodes. Treizième jour.

1/16/2012

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Rien. Travail. Pluie.
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Rhodes. Douzième jour.

1/16/2012

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Le Centre, de nuit...
Rien. Ou presque. J'ai travaillé.
Aujourd'hui à nouveau il pleut. Alors forcément la mer est plus belle, irisée, laiteuse.
Le soir je sors pour manger. Il est 21h et je crains de ne plus pouvoir être servi. Vieux réflexe coréen. Ici, même un soir d'hiver, on mange tard. D'ailleurs le centre-ville grouille de monde, ou plutôt de voitures, qui, comme dans toute ville de province, filent dans les rues la musique à fond... Un samedi soir, ça se fête.
Pas pour moi. Je mange dans un restaurant tout propre dans l'immeuble du Mark & Spencer. La cuisine est grecque, la décoration soignée et efficace. Je suis le seul client. Je mange sous le regard morne et fixe de la serveuse.
Je commande un plat de pois chiches en purée et des boulettes de viande de mouton cuites dans la tomate et servies avec du riz (un plat plus ou moins appelé "quelque chose kaka"). C'est bon, mais terriblement répétitif. Je pense que deux pages me suffiraient pour faire une liste des produits vraiment utilisés par la cuisine grecque et des plats les plus consommés...
Je rentre par l'avenue des platanes. Leurs branches blanches et nues sous les lumières de la rue ressemblent à de longues racines aquatiques se balançant sous la mer à l'envers. La nuit est belle sous le vent, je suis un peu saoul.
 Je rentre dans mon Centre désert.
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Rhodes. Onzième jour.

1/15/2012

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Deuxième jour de soleil. Je sors illico me promener.
Je descends dans la vieille ville par la porte d'Amboise. J'emprunte la rue des Chevaliers. Aujourd'hui l'hôtel de la Langue de France, qui abrite notre consulat honoraire, est ouvert. Je pénètre dans le bâtiment qui semble vide. Comme toute la rue. Au hasard des portes cochères ouvertes, je rentre ma tête de ci, de là. Je rentre dans Sainte Catherine, l'église au bas de la rue. C'est une des plus anciennes de la ville. Elle est en rénovation. Je me fais violemment refouler par les ouvriers qui déjeunent.
En face, il y a l'office du tourisme. J'y rentre pour demander où se trouve le musée byzantin. Une employée charmane a l'air charmé qu'un touriste enfin se présente à elle. Elle m'explique que le musée, autrefois dans l'église, a été déménagé dans le palais du grand maître. Je lui dis qu'en hiver, seule le premier étage est visitable, ce qui apparemment n'inclut pas le musée. Elle est étonnée, je lui propose d'appeler pour vérifier. En effet, en hiver, service minimum... Elle est outrée. Le personnel pourrait ouvrir le musée aux rares touristes, ils n'ont rien d'autre à faire.... Il faut montrer le pays aux gens qui viennent exprès de loin pour le voir. Je suis moins extrêmiste qu'elle, je comprends qu'en hiver et en temps de crise, on ne puisse pas montrer tous les musées. Je le regrette, mais le comprends. Elle ne l'entend pas ainsi. Elle m'entraîne dehors pour me faire une démonstration par l'exemple de ce qu'un fonctionnaire consciencieux devrait faire. Elle me fait l'histoire de Sainte Catherine, et m'entraîne dans l'église. Elle connaît l'archéologue en charge des travaux, et lui demande la permission de me faire entrer. Elle me montre les superbes fresques vieilles de presque mille ans qui ornent les parois. Dans une cour derrière le bâtiment où gisent fûts de colonnes et chapiteaux antiques, elle me montre en contrebas l'entrée d'un souterrain. Personne n'est habituellement admis ici, me fait-elle valoir. C'est l'entrée de l'un des nombreux tunnels qui parcourent la ville et menaient vers le port pour le ravitaillement en cas de siège. Elle me ramène à son bureau et veut me donner une brochure en grec sur l'église. Mais il n'y en a qu'un seul exemplaire. Elle ne peut pas me le donner. Elle va faire une copie. Je lui dis que ce n'est pas la peine. Elle insiste, c'est une très beau document... Mais je crois qu'elle se rend compte qu'elle ne peut pas faire de photocopie dans son bureau. Alors elle sort un gros catalogue d'un tiroir : un rapport illustré de photos des travaux de rénovation de la vieille ville de 1984 à 2003. Chaque bâtiment rénové présente une photo avant et après les travaux. Je m'extasie, honnêtement ravi de ce document. Elle me l'offre, grisée par sa mission. Elle pourra en trouver un autre. J'accepte, car je suis curieux de voir l'état de la ville avant les restaurations. Je la remercie chaudement et repars.
Je regarde dans la rue le catalogue. C'est incroyable le travail qui a été fait. J'avais l'impression que de nombreux sites étaient à l'abandon, mal entretenus, pas encore rénovés. Mais ce n'est rien par rapport à ce que dut être la ville il y a vingt ou trente ans. Des quartiers entiers n'étaient que de simples ruines. La ville est vraiment revenue à la vie récemment. Même s'il reste encore à faire, en regardant le catalogue, je me rends compte de l'oeuvre accomplie. 
En parlant avec les gens ici, je me rends compte qu'il y a une vraie rancoeur des Grecs vis-à-vis des Turcs. Pour eux, ils ont profané les églises, laissé les monuments anciens tomber en ruine, ils ont utilisé les églises comme mosquées, et les vieux palais comme maisons, les "ottomanisant" sans les entretenir. Ce sont des barbares, des mécréants, des vilains. Il y a les blessures et légendes de la colonisation : le fils de chaque famille grecque à cacher dans la cave jusqu'à l'âge de deux ans pour échapper à la tentative de génocide turque qui souhaitait tuer le nouveau-né male de tous les Grecs, la langue grecque interdite, la religion pratiquée en cachette... Il est évident qu'il y a mille vexations, et pire encore. C'est l'histoire tragique et banale de toute colonisation. Mais ce qui m'intéresse, c'est la valeur donnée par l'imaginaire collectif aux différentes expériences. Ce qui finalement reste dans la conscience collective. Par exemple, les Italiens, eux-mêmes présents comme colons, sont vénérés. Ils avaient de bons architectes... Peu importe que leurs travaux de restauration aient été très peu scientifiques et très idéologiques : ils avaient pour but de faire revivre le passé chrétien de l'île, son haritage "européen"... Les Italiens après tout sont les héritiers des Romains, eux-mêmes héritiers des Grecs anciens... Le lien se fait plus naturellement. Mais du coup les Grecs de Rhodes, et d'ailleurs aussi j'imagine, expulsent leur héritage "oriental", qui est une réalité depuis des temps bien plus immémoriaux que l'invasion ottomane... Ils s'ingénient à se penser comme résolument et uniquement "occidentaux, ce qui doit vouloir dire indo-européens, chrétiens, etc. Un Grec me dit même qu'Istambul est une très belle ville... grecque! C'est intéressant de voir que 500 ans de présence ottomane en Grèce signifie pour lui que les Turcs se sont hellénisés, sans qu'il imagine que les Grecs aient pu prendre bien des traits de la culture ottomane quant à l'architecture, l'urbanisme, la culture, la gastronomie, l'art de vivre, etc. C'est révélateur d'une volonté de se représenter, en tant que nation, d'une certaine manière, nonobstant la réalité objective. Je crois qu'il ne faut pas négliger ce "vouloir-être" très décidé, formateur d'une identité résiliente à travers les aléas de l'histoire. Il y a certes du mythe personnel là dedans, et beaucoup de déni, mais un désir d'identité (être ceci plutôt que cela) qui est troublant...

En visitant la ville ancienne, il est difficile de dire ce que vraiment les Ottomans ont fait ou n'ont pas fait quant à ce patrimoine. Ils ont visiblement habité la ville, et quel propriétaire ne prend pas soin de sa maison? Ils ont certes dû ajouter des éléments décoratifs propres à leur culture, comme ces jolis bow-windows de bois, et les moucharabieh aux fenêtres. Ils ont tranformé les églises en mosquées, et c'est regrettable pour un Chrétien, et sûrement pour bien des oeuvres d'art religieuses (mais il ne faut pas oublier que les chevaliers de l'Ordre ont pu quitter la ville en 1523 avec tout leur trésor, leurs archives, leurs reliques, et tous les gens qui souhaitaient les suivre - un geste rare de Soliman le Magnifique qui souhaitait ainsi rendre hommage au courage avec lequel ils s'étaient battus). Cependant ces bâtiments, transformés en mosquées, ont du coup été l'objet de soin de la part de ce peuple très religieux... Presque toutes le fontaines publiques de la ville sont turques. Le procés fait aux Ottomans quant au patrimoine de la ville n'est pas objectif...
Je roule ces pensées alors que je me promène dans les ruelles vides, que je me régale à m'y perdre. Je me désole aussi de ce vide quasi général de la ville le jour, de cette absence quasi générale de commerce ouvert : c'est un espace tout entier tourné, à part un quartier encore habité et celui des bars et clubs la nuit, vers le tourisme estival. Certes il y a un effort apparemment soutenu pour reconstruire, restaurer, sauvegarder les pierres. Mais l'esprit de cette ville comme ville, où est-il? C'est un immense shopping mall gothique, un grand food court médiéval. Une sorte de Disneyland des chevaliers. Qui est le plus à blâmer, si on considère l'âme des pierres, et  non seulement les pierres seules?
Je retourne déjeuner à l'Agora, ma petite taverne d'hier. Ils sont aussi peu amènes que la veille. L'endroit à 15h est cependant plein. Je commande de la pieuvre grillée et un plat de purée de féves. Je me régale. La nourriture est toujours simple, mais fraîche et savoureuse. Dommage qu'ils ne soient pas plus agréables.
Dans le grand silence qui est le mien ici, j'ai le temps de penser à bien des choses inutiles. Je songe aux stérétorypes et généralités qui sont notre mode de connaissance le plus commun et naturel. Avant de venir ici, j'ai entendu mille fois que les Grecs étaient gentils et hospitaliers. Je n'avais qu'envie de le croire, je n'avais pas d'avis sur la question, mes derniers séjours ne m'ayant laissé que peu de préjugés en la matière. Mais depuis que je suis arrivé ici, je pense le contraire. Qu'est-ce qui m'amène à penser de la sorte? Je me dis que "les Grecs ne sont pas très sympathiques et plutôt rudes". Mais c'est encore une généralité. Sur quel chiffre est-elle basée? A combien de Grecs ai-je eu à faire depuis que je suis ici? Je suis sûr que le chiffre est dérisoire, et que le préjugé culturel avec lequel je partirai sera basé sur un nombre en dessous de toute valeur statistique. Pire encore, sur le nombre réel rencontré, je n'ai en fait retenu qu'un certain nombre de personnes qui m'ont marqué, soit par leur approche sympathique, comme la responsable de l'office du tourisme, ou par leur antipathie, comme au Centre par exemple. Bien sûr, les exemples extrêmes, qui marquent l'esprit, surtout les négatifs, quand comme moi on est seul, donc sensibilisé, sont ceux qui l'emportent dans notre impression d'un pays ou d'un "peuple". Je compte : j'ai rencontré de vraiment sympathiques - la patronne de Koukos, le patron d'un supermarché, la femme de l'office touristique, deux serveuses de restaurant, deux garçons de café, une vendeuse de magasin... et je crois que c'est tout. Le reste des personnes que j'ai rencontrées furent ou bien neutres, ou bien distantes et un peu agressives, sur la défensive - m'évoquant un peu les "locaux" du Bassin d'Arcachon, assez méprisants avec les "touristes" de Bordeaux, bref tous ces gens qui sont fatigués de ces touristes de passage dont ils dépendent, de plus, financièrement... Je retrouve cette même distance qui tente d'être polie, qui en a les formes, mais qui au fond témoigne d'une absence d'intérêt, d'une lassitude, et même parfois d'une certaine forme de haine... J'extrapole, mais c'est ainsi que je le ressens. Je pense à d'autres endroits où j'ai ressenti la même chose, comme la Thaïlande par exemple... Ce qui reste de ma perception subjective (et j'insiste sur ce mot), c'est que j'ai ressenti avoir rencontré plus de gens désagréables que de vraiment sympathiques : ces derniers étant dans mon souvenir subjectif (encore) au nombre de 8 personnes... On peut dire que les codes de la sympathie sont différents selon les pays. Certes. Il n'en reste pas moins que je vais garder ma généralité à moi sur les Grecs et mon nouveau stéréotype sur l'antipathie rhodienne. Après vérification, ils me conviennent très bien et me semblent presque scientifiquement prouvés...
Ce qui est terrible, c'est que nous vivons dans un monde valorisant fortement l'autre, la rencontre, l'hospitalité, la différence, alors que fondamentalement, nous sommes encleins au mépris, à l'indifférence, à la discrimination...
Je rentre et travaille jusque tard le soir.
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Rhodes. Dixième jour.

1/13/2012

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Juste au-dessus du Centre.
Dixième jour. Enfin, le beau temps! Je lève le volet électrique de ma fenêtre et je découvre une mer étale, un ciel bleu... Je décide d'en profiter pour aller faire une longue balade sur l'Acropole et d'aller au marché, qui a lieu tous les jeudis près du stade.
La femme de ménage frappe à la porte alors que je déjeune. Surpris, je laisse tomber ma biscotte beurrée et miellée sur le clavier de mon ordinateur. J'ai lu quelque part une étude très sérieuse sur ce phénomène qui s'explique très scientifiquement : la tartine retombe toujours du côté beurré... La femme de ménage, qui ressemble à une catcheuse avec sa tête toute ronde, sa queue de cheval et ses énormes seins, me dit, amène: "vous sortez de la chambre, que je fasse le ménage". Je n'ai pas pris ma douche, je lui demande trente minutes. Elle soupire et s'en va s'en répondre.

J'emprunte les escaliers qui partent juste derrière le Centre. Quelques marches, et une vue superbe sur la presqu'île se révêle. La côte turque se découpe clairement en face, et on voit de grands ferrys traverser le détroit. J'arrive vite à une sorte de plateau, bordé par la falaise, où se trouvait une des deux acropoles de la ville antique. Je sens pour la première fois les odeurs familières de la méditerranée, des herbes, un vague souvenir de jour sec et chaud qui monte du sol incroyablement vert et fourni, plus vert que mon potager en été. Je reconnais des trêfles, de l'ortie, des belles de nuit, une sorte de romarin, des ombellifères comme la cigüe commune, le fenouil, la carotte sauvage... Et partout, des ricins poussent grands comme des arbres. 
Les temples de Zeux poliarque et de sa fille Athéna sont littéralement de petits champs de pierre. Visiblement les monuments anciens ont servi aux Byzantins, aux Chevaliers puis aux Ottomanes de carrière. Ce qui reste au sol est même trop peu pour être appelé ruines... Deux vaches paissent au milieu d'un pré. Plus bas, trois colonnes doriques relevées symbolisent le temps d'Apollon Pythien, à côté de ce qui fut un sanctuaire à Artémis. L'endroit ne manque pas de charme. En contrebas, sur des terrasses découpées avec un sens clair du paysage, j'aperçois le petit théâtre et le stade. Je ne peux refouler les rêveries que hier je méprisais sur la mortalité des civilisations. J'imagine cet espace avec ses beaux bâtiments couverts de stucs de couleur, majestueux dans le soleil, avec ces hommes en toge, les athlètes nus s'entraînant plus bas dans l'immense gymnase, sous la stoa duquel les fameux rhéteurs de l'école rhodienne dispensaient leurs cours... Il ne reste rien que l'imagination pour témoigner de tout cela, et les textes qui nous en ont donné le prétexte. Je descends par le théâtre reconstruit en marbre par les Italiens et le stade, très bien préservé avec ses sièges de pierre. Il me vient des pensées en ce lieu qui mariait cultes religieux, rituels démocratiques de la cité, spectacle et sports. Un ensemble idéologique, ma foi, assez classique, que j'aurais dû plus prendre en compte dans ma tentative de compréhension de la Pyongyang contemporaine. L'effort du régime pour intégrer les sports dans la ville sur l'axe du culte de la personnalité de Kim Il Sung n'est pas fortuit. Ce n'est pas simplement le désir d'offrir aussi un culte à la Jeunesse. Il y a quelque chose de plus "anthropologique" dans ce besoin de lier symboliquement les dieux du stade aux dieux de la Cité, afin de construire un sentiment plus fort et plus grand de la nation. A explorer.
Plus bas, dans un quartier assez plaisant composé d'immeubles neufs et de maisons anciennes entourées de jardins hirsutes et de vergers d'orangers abandonnés, on trouve des restes de maison hellénistique et d'un vague palais. Ces sites sont juste conservés ainsi à l'air libre, sans aménagement ni explication, une vague barrière rouillée empêche théoriquement les visiteurs de s'en approcher - mais qui voudrait s'approcher de ces crevasses, de ces amas de pierres et de mauvaises herbes? Je comprends que les terrains vagues apercus jusqu'ici sont des champs de ruines, qu'une loi patrimoniale protège miraculeusement de la destruction, mais que le manque de moyens empêche d'entretenir ou de rendre accessible. C'est le niveau zéro du patrimoine. 
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Je descends au milieu des hibiscus et des bougainvillés vers le centre moderne plus au sud du centre historique, où je pénètre pour la première fois. Ici se dressait autrefois jusqu'à la période byzantine une immense nécropole. C'est maintenant une vaste zone résidentielle composée de rues tirées au cordeau, où s'alignent invariablement des petits immeubles de rapport de 2-3 étages, des résidences en forme de bloc dotés de balcons, de couleur blanche ou beige... L'architecture méditerranéenne la plus classique... J'y croise beaucoup de voiture, il y a une animation inaccoutumée plus au nord. Des commerces enfin, supermarchés, boulangeries, boucheries... Mais toujours pas de poissonnerie... Le quartier est populaire, il y règne une vague odeur de lessive et d'ennui un peu déprimante. J'arrive au parc dit de la tombe de Saint-Jean. Je ne pense pas qu'il s'agisse de Saint Jean l'Evangéliste, qui rédigea l'Apocalypse dans une grotte de Patmos, dans le Dodécanèse - avec qui je pourrais m'identifier actuellement... En fait, ce Saint Jean est censé avoir été enterré en Turquie. Quand au Jean de l'Ordre des Hospitaliers, il s'agit de Jean le Baptiste, certainement pas enterré ici... Peu d'informations, même dans les guides. Il doit s'agir d'un petit saint, qui faisait des petits miracles locaux... En tout cas, le parc est fermé. Toutes les tombes anciennes du quartier annoncées par les panneaux s'avèrent être des terrains vagues inaccessibles. Je laisse tomber. Je préfère aller faire mon marché à Carrefour, juste à côté de Saint-Jean.
Hiver? Crise? Je suis terriblement déçu par le choix offert par les supermarchés et grandes surfaces. La variété est très limitée, surtout dans le rayon frais. Les fromages sont presque tous importés. Il y a bien sûr un grand rayon fêta, mais plus orienté sur la quantité que la diversité. Les rayon olive est étique. La poissonnerie a surtout des poissons séchés comme la morue, très peu de frais. Les laitages, que j'attendais être riches et multiples, sont eux aussi ennuyeux. La charcuterie locale semble inexistante...Faire ses courses est déprimant. Je vais aller faire un tour au marché de rue près du stade.
En remontant vers le nord, les rues sont plus jolies, bordées de pins ou de palmiers, on trouve quelques villas italiennes cossues. Le long du mur sud de l'enceinte de la forteresse, le petit marché hebdomadaire étale ses stands de fruits et légumes. Ce n'est pas bien gai non plus, ces légumes d'hivers palots... Il y a de temps en temps une légume inattendue, un céleri-rave, un chou chinois, même des radis daikon... Et beaucoup de petites betteraves, légume que je ne connaissais pas dans la gastronomie locale... Un stand unique de poissons propose quelques rares goujons minuscules... Rhodes n'est-elle pas une île? Les pêcheurs doivent avoir troqué leurs filets contre les bouteilles de plongée et les tubas pour touristes. J'achète tout de même des mandarines pour ne pas dire que je suis venu en badaud.
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Je pénètre dans la forteresse par une porte médiévale toute en machicoulis et meurtrières. J'arrive dans la partie sud-est de la vieille ville qui accueillait la communauté juive, les seuls "étrangers" que les Ottomans laissèrent résider avec eux dans la citadelle. Bien sûr, le quartier a été décimé pendant la dernière guerre avec 1608 Juifs déportés dans les camps allemands... Les habitants déportés, le bombardement des Anglais en 1944, les Ottomans quittant le quartier eux aussi à l'arrivée des Italiens, presque un siècle d'incurie et de destructions. Cette partie de la ville porte encore les stigmate s du temps. Les restaurations y sont plus discrètes que dans la partie nord, vers la rue Socratous ou des Chevaliers, où se concentrent les touristes et les commerces qui leurs sont destinés. Du coup, le coin a plus de charme, il est habité, populaire, a gardé un semblant de vie et un air d'authenticité. Il se dégage un charme irrésistible de ces ruelles labyrinthiques où se mêlent les styles médiévaux, ottoman, italien à l'occasion...  Des mosqiées de poches, anciennes églises chrétiennes dotées d'un minaret pour enfant, occupent des petites places plantées d'oliviers et de palmiers. Des fleurs partout. Plus que les habitants, je croise les chats, des milliers de chats, tous plus beaux les uns que les autres, bigarrés, aux fourrures superbes, gras comme des pachas... Dans la partie touristique où j'arrive enfin, à partir de la place des Martyrs, la multitude des restaurants, bars, boutiques touristiques, tous fermés, n'augure rien de bon en été... Ce doit être ici une marée humaine. Je suis heureux d'être seul dans cette ville fantôme. Mes sacs à la main, je me perds longuement dans les venelles.
Je reviens vers l'agora nouvelle, sorte de marché couvert d'inspiration turque sur le port. J'y ai repéré un restaurant qui paraît-il est très bien. C'est une petite taverne avec quatre-cinq tables seulement, un bar avec des ouvriers qui prennent un pot, et à toute heure de la journée, des locaux qui viennent partager des plats de meze. Enfin, je me régale... La cuisine est simple, mais savoureuse, basée sur des produits frais. Pas de moussaka ni de souvlaki, pas de "plats cuisinés", peu de viande, l'accent sur le poisson, les légumes (beaucoup de haricots et pois) et le fromage... On retrouve les essentiels de la cuisine grecque! Salade de betteraves (voilà!) accompagnée d'une délicieuse pâte noix-miel-ail, du riz à l'encre et à la seiche, de merveilleux beignets de courgettes légers, croustillants, farcis de tomates et recouverts d'une pluie de fine fêta... Je rentre heureux.  

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Rhodes. Neuvième jour.

1/13/2012

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Je me réveille. Aujourd'hui le chauffage ne marche pas.
Il pleut toujours, toujours du vent...
Comme j'ai la bouilloire électrique dans la chambre, je peux me préparer mon petit déjeuner sans descendre à la cuisine et attendre 30 minutes que l'eau bouille. Café en poudre, biscottes beurrées au miel, jus de fruit... Je reste le jour entier dans la chambre à travailler. C'est une vraie cellule monastique.

Je regarde de temps en temps la plage par la fenêtre, et cette côte occidentale de la ville, si déserte, si triste en hiver. Il paraît qu'en été, c'est très vivant, et qu'on entend la musique des bars jusqu'au centre. Bien sûr, les résidences, les appartements en time-share, les hôtels, les meublés se remplissent. Les retraités d'Europe du Nord reviennent avec le soleil, comme des oiseaux migrateurs, et peu à peu les touristes de Russie, d'Allemagne, d'Italie... Mais on sent que cette partie de la ville n'est pas la plus riche. C'est la plus développée, la plus récente, puisqu'elle date des années 1980 quand les enfants du pays ayant fait fortune à l'étranger revinrent pour investir leurs dollars dans le béton. Les vieilles demeures de villégiature furent remplacées par ces blocs de béton, ces hôtels de troisième catégorie qu'une ou deux décennies ont suffi à rendre minables. Il y a bien un hôtel cinq étoiles, le Grand Hôtel, au bord de la plage, mais on dirait un sanatorium de la mer Noire, quelque part en Bulgarie... Certainement que le sirtaki, la pop internationale, la foule des vacanciers en Crocs, le soleil, la chaleur et les odeurs de souvlaki rendent ce quartier plus vivant l'été. Mais il y règne définitivement un air d'obsolescence... Par contraste, le quartier est respire l'argent. Il y a les hôtels les plus sélects, comme l'Hôtel des Roses ou le Park Hotel, les boutiques de luxe (Christophe, Baccarat, toutes les marques de vêtements possible, un nombre incroyable de bijoutiers...), car on est prêt des quais et des croisières de luxe qui déversent leurs flots de touristes heureux de dépenser une fois à terre. La ville s'est comme naturellement scindée en deux le long de son centre-nord, le quartier historique relooké par les Italiens pour être leur Côte d'Azur de la mer Egée, et la côte ouest, plus venteuse, pour le tourisme de masse et les retraités...
Je descends le soir me faire réchauffer mon dîner. Soudain, au détour des grands escaliers craquants, dans le hall désert,  à la fenêtre de la porte d'entrée, un visage collé à la vitre... Je retiens un cri... et reconnais la voisine-gardienne. Je ne l'ai pas encore présentée. En fait, c'est ma première rencontre ici, puisqu'elle est apparue le premier soir au son de mes valises roulant dans la cour. Elle habite deux petites maisons collées au Centre, dont une a une vue à couper le souffle, adossée à la falaise. Elle a tout de la vieille veuve grecque, longue robe noire couverte de tabliers de la même couleur, et sur la tête un grand châle, noir aussi, comme une longue serpillère qui lui tombe sur les bras. Seul détail moderne, à ses pieds,des Crocs, noirs eux aussi, qu'elle porte avec des bas de laine. Je l'ai croisée souvent, elle fait ses allers-retours entre les deux maisons et la cour du Centre. Mais ce soir elle me surprend. Elle ne parle pas anglais, mais a un peu de vocabulaire qu'elle mitonne d'un pantomime dont je dois avouer ne pas comprendre toutes les conventions. Elle me fait signe que quelqu'un vient, tourne, et repart, le soir, tous les soirs, quelqu'un de triste, qui vient guetter dans le Centre désert, et elle se frappe la poitrine comme surprise, effrayée, je comprends qu'elle a peur... Mon sang ne fait qu'un tour! Nous avons un rôdeur! Qui? Un homme? Etranger? Quel âge? Quand? Elle se frappe la poitrine et répète "Sekuritat". Cela ne me rassure guère...
Je comprends enfin que le rôdeur, c'est elle. Elle se promène ici tous les soirs ("volta" en grec, m'explique-t-elle, pédagogue) parce qu'elle est seule. Elle est veuve. Elle a perdu son mari il y a 29 ans... Il était américain, c'est pourquoi son fils aîné de 37 ans a les yeux bleus. Elle a besoin de compter avec ses mains. Trois dizaines, puis 7 doigts. Elle recommence pour le mari. 29 ans qu'il est mort, 29. Et elle a encore un autre fils, de 30 ans. Trois dizaines. Puis elle fait mine de pétrir une pâte à pain, une pita peut-être, de la retourner, de la fariner, puis de l'aplatir entre ses mains à grands coups, deux fois. Elle vient de me mimer la mort de son mari, écrasé par une auto "très grande, très très grande" (un camion?). Je suis toujours derrière la fenêtre fermée. J'ai mon repas dans les mains. J'essayer d'être gentil et poli, je m'exclame, je ponctue le pantomime de "ah?", "oh my God!", etc. Mais je n'ai pas trop envie de lui ouvrir et de passer la soirée avec elle - car je sens qu'elle resterait bien avec moi à papoter... Je fais mine de m'éloigner un peu. Elle voit son chat, Trophy, qui passe les journées sous le porche. Elle l'aime, il est si mignon! Pour me le prouver, elle l'attrape par une patte, et le soulève vers la fenêtre. Le chat hurle, crache et la griffe à la main. Elle le jette à terre. Ah, le coquin, il est si mignon, c'est son compagnon! C'est Trophy! Il n'a pas voulu lui faire de mal... Je pars doucement à reculons pendant qu'elle essaye de le rattraper. Elle le saisit au cou et le tient appuyé contre la vitre. Le chat, les quatre pattes écartées, extatique, souffle et crache en me regardant avec des yeux de feu... "Iasas, iasas", je file à la cuisine.
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Rhodes. Huitième jour.

1/11/2012

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Je me suis réveillé en pensant au chauffage. 
La chambre était une véritable étuve, entre le climatiseur et les radiateurs qui marchaient à nouveau. Je me suis habillé et je suis allé voir Angeliki. Je suis d'abord tombé sur la femme de ménage. Je lui ai dit avec entrain que le chauffage marchait, que c'était fabuleux. Je lui ai demandé s'il marcherait tout le temps, maintenant qu'il est réparé. Non, me dit-elle, seulement pendant les heures de bureau, quand il seraient là. J'étais dans l'embrasure de la porte, et elle me faisait face dans le bureau. Face à elle, derrière la porte, je sentais la présence de quelqu'un. C'était un homme et il prit la parole en grec. Elle le regarda puis me traduisit ses paroles. "On ne peut pas chauffer toute la journée pour rien" ("rien" me désignant ici). "Je comprends, ajoutai-je. Mais je crois savoir qu'il vaut mieux chauffer une grande maison comme celle-ci à feu doux tout le temps, plutôt que quelques heures par jour à plein régime". Je ne sais pas si cette théorie est avérée, mais elle me convenait mieux, en fait. En même temps, la maison est si grande, les murs et sols si glacés que je suis sur qu'il lui faut des heures pour se réchauffer... "Pas d'argent du gouvernement, la crise, nous sommes pauvres", me dit la femme de ménage. L'homme rajoute qu'il n'y a pas assez de mazout pour chauffer toute la journée, qu'ils ne peuvent tenir qu'un mois. Je lui dis que les chauffages électriques que nous utilisons coûtent plus cher. Il répond que c'est l'état qui paye l'électricité, donc que cela n'a pas d'importance.
Que répondre face à ces arguments d'autorité? Je suis dans un pays en faillite, je ne veux pas me montrer difficile et risquer de paraître capricieux. Je leur dis que je suis très content d'avoir le chauffage le jour. En tout cas, le manager hier m'a menti quand il a affirmé que le chauffage central était à nouveau cassé, mais qu'il remarcherait le lendemain. Il pouvait être rouge de honte.
J'en profite pour demander à la femme de ménage quand elle pense faire le nettoyage hebdomadaire de ma chambre. Je sens que je la dérange, car le ménage du Centre en cette saison signifie pour elle principalement rester assise dans ce bureau de 9h à 15h à discuter bruyamment avec cet homme invisible. Elle se lève et soudain se met à boîter. "Je me suis cassé la jambe la semaine dernière...", me dit-elle. Je n'insiste pas. J'arrive tout de même à obtenir d'elle une grande serviette pour mettre devant ma porte et bloquer l'air froid qui s'infiltre par en-dessous.
Dans le couloir, je tombe sur Angeliki qui a dû entendre ma voix. Elle sourit mais a l'air de vouloir clarifier un point. "Comment se fait-il que tu aies froid avec le climatiseur dans ta chambre? J'aimerais bien avoir un climatiseur dans mon bureau. Je n'ai rien et il fait très froid. Mais je ne dis rien. Et chez moi, j'ai bien assez d'un climatiseur..." Je comprends qui a donné l'ordre pour les couvertures que je voulais obtenir pour le sol. C'est un débat éthique ici qui nous occupe donc : ce qui est bien pour moi est suffisant pour toi aussi. Je comprends cette sensibilité en temps de crise où le sentiment de honte national rend susceptible face aux étrangers. J'essaye de lui expliquer que j'ai eu la grippe, la fièvre pendant deux jours, que l'air sec du climatiseur agrave ma sinusite, que l'air chaud monte et laisse le sol gelé, que je suis à mon bureau immobile 8 heures par jour, et que je n'arrive pas à guérir. Mais, ajoutai-je pour montrer ma bonne volonté, je suis très heureux d'avoir le chauffage central maintenant". "Oui, je ne vois pas où est le problème, avec le chauffage". Je lui fais tout de même remarquer qu'il ne marche que depuis hier et uniquement pendant LEURS heures de bureau (8h30-14h), me laissant donc la plupart de la journée et de la nuit dans le froid... Elle insiste et me dit que le chauffage marche très bien, en effet. Je ne dis rien et répète que je suis très heureux d'avoir le chauffage central dans la journée. Je ne peux cependant m'empêcher de lui dire qu'Alexander avait été malade tout le séjour lui aussi, que ce n'est pas que moi. J'omets de dire que de toute manière, Alexander aurait été malade, le chauffage n'ayant rien à voir avec ses problèmes spasmodiques et météoritiques. Angeliki me resert l'argument de la crise. Je comprends bien. Je me demande si alors c'est la meilleure idée de proposer des résidences d'écriture gratuites si c'est pour ne pas arriver à leur maintenir un niveau minimum de confort. Mais je ne dis rien, car c'est mesquin, et de toute manière je suis heureux d'être ici. Angeliki ajoute qu'elle est surprise car comme je viens de Corée du Sud où il fait bien plus froid qu'ici... Je lui dis "en effet", sans vouloir relever qu'en Corée du Sud, on chauffe les maisons par le sol... Je souhaite finir sur une note sympathique. Au fond, ces gens ont une gentillesse bourrue, mais ils sont certainement gentils. Je lui demande si elle peut m'aider à trouver un docteur. Il faut toujours faire croire aux gens qu'ils vous sont nécessaires, que vous dépendez d'eux, cela les adoucit d'imaginer avoir un ascendant sur vous. En effet, elle retrouve le sourire et s'exécute. Elle prend le téléphone pour appeler la clinique à côté. Comme toujours, le coup de téléphone dure 15 minutes. Je me demande ce qui peux être si long dans la question et la réponse. J'ai l'impression qu'elle lui raconte toute la vie du centre, et aussi comment je suis un emmerdeur hypocondriaque. Elle me dit finalement que je peux y aller avant 13h30. Pour finir en beauté, je lui demande, l'air intéressén: "Au fait, Angeliki, que veut dire 'Iasas', que j'entends beaucoup ici". Elle rougit de plaisir : "cela veut dire 'salut', iasas, iasas, bye, bye". Iasas donc.
Je ne connais pas les stéréotypes des Grecs sur les Français. Nous avons souvent une mauvaise image de peuple prétentieux, vain et efféminé. J'ai lu dans mon guide (grec, en anglais) sur Rhodes, par exemple, que le spectacle son et lumière de la forteresse est une production française, et que "bien que dénué de toute technique moderne tels que lasers", il n'est pas si mauvais que cela. C'est une drôle de manière de faire l'article de ce show, l'unique du genre dans l'île... Enfin, je ne sais pas si tout cela a un rapport avec moi. J'essaye de trouver des indices.
Je dit sur le chemin à la femme de ménage qu'il n'y a plus de miel pour le petit déjeuner. Qui était censé être inclus. Elle m'amène dans leur remise et me sort des paquets de biscotte. "C'est tout ce qu'on a, pour le reste il faut attendre trois mois, on n'est approvisionné que tous les trois mois ici. On était plein l'été dernier, alors y a plus rien maintenant" (l'été dernier... c'était il y a 6 mois, donc 2 fois 3 mois, si je compte bien...). Je décline les biscottes, car il y en a déjà des caisses dans la cuisine. Ce n'est pas grave, j'achèterai du miel. Mais je pense à leur table dans la cuisine du personnel, couverte d'un plateau regorgeant de confitures diverses et de miels du mont Hymète... C'est comme le chauffage, en somme. Je comprends que ce centre pour écrivains et traducteurs fonctionnerait mieux sans ces damnés écrivains et traducteurs... Je trouve la bouilloire électrique réparée dans notre cuisine et la pique pour ma chambre.
L'hôpital rachète un peu tout ces tracas. Je peux enfin voir un docteur, charmant, qui m'explique mon mal pendant une demi-heure. Puis la secrétaire, charmante, met une demi-heure à me faire payer 60 euros la visite. Ce n'est pas du temps de perdu, j'ai enfin une ordonnance, et bientôt les médicaments qui me soulageront.
Dans la rue, j'ai bizarrement l'impression d'atterir enfin, comme si j'avais eu un décalage horaire qu'il m'aurait fallu une semaine pour surmonter. Je me sens plus à l'aise dans les rues, dans la ville, dans ma vie ici. Pourtant le temps n'a pas changé, il pleuvine toujours une pluie grise et froide. Est-ce d'avoir acheté ce parapluie rouge? Je me sens un autre homme.
Je pars vers la vieille ville pour me promener. Après un tour des remparts où je me suis égaré dans les douves, solitaires comme moi, mais asséchées, je pénètre enfin dans la forteresse. Je visite le palais des grands maîtres de l'ordre de Saint-Jean. C'est un grand château-fort médiéval, massif mais pittoresque. Transformé en dépôt de munitions par les Turcs, il a été victime d'une explosion massive en 1856, causant la mort de 800 personnes dans la ville. Si je me souviens bien, c'est un sort similaire qui a coûté la destruction du Parthénon à Athènes. Sacrés Ottomans. Le palais était un tas de ruine quand les Italiens ont décidé de le rebâtir pour en faire une demeure secondaire pour Mussolini. Il paraît qu'ils ont pris d'énormes libertés avec la réalité architecturale. C'est très probable, bien des parties font trop propres, cependant l'ensemble n'est pas désagréable et parle plus qu'une ruine. Je me promène seul dans les pièces gigantesques. La seule gardienne des lieux n'a pas daigné quitter son poèle électrique. J'erre donc à ma guise au milieu des meubles médiévaux, et des mosaïques romaines transportées de Cos en ce lieu par les Italiens. Il y a une beauté majestueuse dans cet ensemble, et une tristesse languide aussi. Je la retrouve dans la rue, cette fameuse rue des Chevaliers où se trouvent les bâtiments des différentes "langues" (nations) qui co-géraient l'ordre hospitalier. Un air de désolation, malgré les énormes travaux de rénovation effectués par les Italiens pour redonner son air gothique à cette rue. Je ne me sens pourtant pas attiré par la poésie des ruines et des considérations sur la mort des civilisations. En fait, ce sujet est incroyablement élimé : c'est toujours la même conclusion qui s'impose après une rêverie de ce genre, c'est incroyablement limité en possibles. Tempus fugit, o tempora o mores, un peu de Cicéron, une phrase de Valéry, et on a tout dit.
Je pense plutôt à l'effort ridicule des Italiens pour redonner à Rhodes son faste médiéval et chrétien, voire Italien, en gommant toute trace d'occupation ottomane (presque 400 ans...) et en infusant un style "néo-vénitien" à leurs constructions. Mais c'est oublier que Venise elle-même était la porte de l'Orient et très redevable à ce dernier. Si bien qu'arrivé ici, face aux batisses italiennes, j'ai cru souvent être devant une demeure ottomane, tant les deux styles, qui de moucharabieh en pointe, qui d'ogive en stuc, finissent par se ressembler...
Je vais déjeuner dans la rue Amérikis, dans un très joli café à la mode installé dans une vieille maison (italienne, ottomane?), le "Casa la femme" (sic). La jeunesse branchée me semble plus belle, enfin. Je vois de très beaux jeunes gens. C'est surtout leur style qui m'est difficile à apprécier. Les filles ressemblent à Lady Gaga, sans le glamour, et les garçons à Georges Michael, version 1990. Ce n'est pas facile à porter. Et c'est terrible comme le style peut tuer la beauté. Il faut s'adonner à une véritable archéologie des looks pour arriver à déceler la beauté originelle des êtres.
J'ai froid, car mes pieds sont trempés. Je décide de rentrer après le café. Je fais un détour par le supermarché acheter quelques légumes pour me faire une ratatouille.
Je retourne travailler. C'est incroyable, je suis ici depuis une semaine, affairé, studieux, et pourtant je n'ai toujours pas commencé mon livre...

Le soir, vers 22h, j'ai faim, j'ai besoin de sortir. Le vent s'est levé et souffle à tout rompre sur la falaise. La lune est presque pleine derrière un voile de brume. On dirait en voyant le ciel qu'il va peut-être enfin faire beau. Ah, ce temps maniaco-dépressif, comme disait Alexander. Il me manque en fait. C'était bien de sentir, non pas tant sa présence, que sa possibilité. Je sais que désormais qu'il est parti, je ne vais pas faire d'effort pour faire des rencontres et que je ne parlerai guère à personne. Je connais cet état, je l'ai déjà vécu, et c'est ce que je recherchais en venant ici. Mais c'est étrange, car ici la solitude est différente. Chez moi, à la campagne, je ne me sens jamais seul, et le suis pourtant plus qu'ici. J'ai la maison. Elle est chaleureuse, elle est douce, elle me veut du bien et me protège. Ici, c'est différent. J'ai l'impression qu'Alexander est parti en laissant derrière lui Fritz, qui me regarde avec ses longues bacchantes et son regard de cocker, comme s'il disait : "Et maintenant?".
Je ne sais pas, Fritz. Maintenant, c'est toi et moi, et le travail. Ne me demande pas. J'ignore au fond pourquoi je suis venu aussi loin pour écrire ce livre, alors que je pouvais être dans ma cabane près de Séoul, au chaud, confortable... J'avais besoin de distance. Comprends-tu? Comprends-tu, Fritz? Moi, je ne comprends pas bien, au fond...
Il hausse les épaules. Il n'a rien à dire non plus. Je me promène, visite le vieil hôtel des Roses, où se trouve le Casino, le vieux palace des Italiens face à la mer, et son luxe désuet de pension de famillle. J'ai faim. J'achète un "sandwich grec", c'est-à-dire un souvlaki dans une pita. C'est infect, mais la pita est bonne. C'est ce qu'il y a de meilleur ici. Mon esprit erre avec les nuages dans le ciel. Je me demande où sont faites ces pitas qu'ils utilisent dans les magasins de gyros. Pas sur place, je pense. Il doit y avoir une petite fabrique artisanale qui fabrique les pitas tous les jours et les livre. Car elles sont fraîches. Et il est difficile de trouver des boulangeries ici, jusqu'à présent je n'en ai vu que deux. Une fabrique, mais familiale, avec une bonne recette traditionnelle. Mon esprit erre et roule sur la pita. Je pense à ce restaurant où je suis allé, ils faisaient leur pita maison, mais de grandes portions rectangulaires qu'ils coupaient ensuite en petits carrés. On aurait dit de grands paillassons de pita.
Mes pas m'ont porté dans la ruelle du centre. Soudain, derrière moi un bruit surgit de l'ornière sombre. Quelqu'un? Ce sont des pierres qui ont roulé de la colline. Et si on me suivait? J'accélère le pas. C'est ridicule, ce sera la pluie qui a détrempé les sols. Le vent souffle, les vagues s'abattent sur la plage en contrebas. Dans la nuit, on aperçoit la côte turque. Demain il fera beau. Je rentre dans la grande maison silencieuse qui craque et m'enferme dans ma chambre.
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