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MESMOTSMESMONDES

Les conditions d'une culture de la diversité

9/5/2012

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Dominique Wolton donnait une conférence hier soir, et je n'ai pu en écouter que des bribes, mais au fond, je me demande si ce qu'il présentait n'était pas qu'un tissu de bribes... Bribes d'une pensée relevant plus de la conviction intime, de valeurs personnelles (ou imaginées telles) et a priori, qu'il s'acharne à rendre universelles et à légitimer en recourant à sa position de "chercheur". Il les résumait fort bien durant les questions-réponses de la manière suivante, quasi littéralement : nous ne pouvons pas aimer tout le monde, nous n'avons pas à le faire, nous ne pouvons pas comprendre tout le monde, cela n'est pas important ni possible, ce qui compte c'est de développer le respect d'autrui et de sa différence culturelle dans la valorisation de la diversité culturelle. Pour cela, la communication (son dada) est la chose la plus importante, etc. Et il embraye, cédant au vieux paternalisme européen, sur la nécessité pour la Corée du Sud d'être fière de sa culture et de son identité, de les diffuser, de les cultiver; comme on exhorte un adolescent à prendre confiance en lui : vas-y, fonce, n'aie pas peur! Bien sûr, il n'est pas question d'impérialisme ni de nationalisme... Lui qui a visité plusieurs fois la Corée avec son sbire Dayez-Burgeon comme  introducteur spécialisé et spécialiste, ne sait-il donc pas encore que la Corée n'a pas attendu pour avoir une culture et le faire savoir au monde? Mais qu'en revanche, le modèle angélique qu'il prône ne semble pas avoir été celui retenu par les institutions et les chaebols coréens, qui voient la culture coréenne comme une industrie et une gamme de produits software, insérés eux-mêmes dans une politique marketing plus large visant à vendre les produits hardware de l'industrie coréenne en saturation sur le marché local et qui ne peut survivre que par l'expansion ad infinitum sur les marchés mondiaux. Il y a certes, en période de mondialisation, une obligation structurelle à redéfinir son identité culturelle du fait du contact accru et du frottement régulier avec l'étranger. Mais le vrai moteur de la hallyu n'est pas d'informer fièrement le monde de la valeur intrinsèque de la culture coréenne. Ce n'est pas une affirmation de soi identitaire. Ou pas uniquement. L'expansionnisme culturel dont nous sommes actuellement témoins ne vise qu'à seconder l'impérialisme économique qui est à la base du modèle de l'économie et de toute la société sud-coréenne contemporaine. Modèle martial et guerrier, hérité des tumultes du XXème siècle et du modèle séminal de notre modernité coréenne, le Japon impérial, lui-même façonné sur un certain capitalisme colonialiste européen... Dans une société encore fortement structurée dans son identité collective sur la notion de peuple ethniquement unitaire et qui cultive le nationalisme avec ingénuité, je ne vois pas où les bonnes intentions de Wolton peuvent prendre litière... Certes, il a bien raison lorsqu'il dit que nous ne nous comprendrons certainement pas les uns les autres dans le monde mondialisé. Il en est la preuve vivante. Ces rencontres superficielles, bien pensantes et autistes reposent sur nombre de malentendus. Wolton croit avoir porté la bonne parole du respect mutuel en terre coréenne. Les Coréens ont entendu qu'ils avaient bien raison d'essayer de voler la place jusqu'alors prépondérante qu'avaient les Occidentaux sur la scène-monde et qu'ils se devaient de répandre l'évangile de leur culture sur cette dernière. Avec pour apôtres Girl Generation et Kangnam Style... Il pensait culture (Kultur), langue, gastronomie, littérature, patrimoine folklorique, arts, etc. Ils pensaient frozen bibimbap, K-pop, drama...
Je me dis, tout de go, qu'une communication où l'on ne se comprend pas les uns les autres n'est pas une communication idéale... Il passe bien quelque chose, mais qui ressemble plus au bruit, et qui véhicule les malentendus plus que l'information... Cela me semble le modèle même de la communication à l'époque de la mondialisation... Mais c'est un autre débat. Mes questions sont à un autre niveau. Je me dis que pour que le respect d'autrui, sa reconnaissance en tant qu'autre, s'opère, il faudra tout d'abord deux éléments qui me semblent manquer sévèrement un peu partout dans le monde, mais particulièrement dans cette région du monde. Le premier est le désir. Il faut un désir de l'autre pour commencer à le voir, puis à le regarder comme autre. Il faut un désir de reconnaître l'autre comme autre, pour le voir autre. Il faut encore le désir de la différence pour voir cette dernière comme un élément positif et non un vecteur de souillure et de perversion. Or je vois ici une passion du Même et une défiance cultivée et collective du Différent. Je me pose la question de ce désir de la différence. Qui va le cultiver, l'enseigner, le transmettre, le valoriser, qui va le faire surgir? Où est le lieu de l'autre dans une société comme celle-ci, et surtout, comment ce lieu, absent jusqu'à présent, ou présent simplement en creux, comme en hors-champ, va-t-il être créé? Par quelles forces?
Enfin, et j'aurais pu commencer par cet élément, il faut encore que l'on ait un concept de l'altérité qui se rapproche de celui sur lequel Wolton fonde ses raisonnements. Or son concept me paraît terriblement européen, là où Wolton le prend comme un universel. L'Autre ne se fonde comme tel qu'en tant que je suis Moi, personne définie en face de cet Autre. Ou plus exactement, moi et autre sont pris dans une dialectique constructive des deux entités. C'est la personne qui est au fondement de la possibilité de l'Autre de l'altérité (s'entend ici, l'altérité valorisée de respect et d'échange qu'évoque Wolton). Or il semble acquis que la notion de personne, très occidentale dans l'usage qui en est fait ici, ne connaît pas les même avatars dans le monde. Dans une culture où l'identité individuelle est avant tout sociale et inter-relationnelle (moi comme un autre, l'autre comme un autre moi), le concept d'altérité prend une tout autre figure (je parlais ailleurs de régimes de l'altérité : altérité, certes, mais ayant des fondements et aboutissements différents). Et il ne pas sûr que sous ce masque, il produise les mêmes grimaces doucereuses que l'altérité rêvée par Wolton. A bien des égards, son concept de respect mutuel de la différence dans le multiculturalisme relève d'une morale toute kantienne, honorable bien sûr, mais plus philosophique et idéale que présente concrètement sur les terrains où elle est tragiquement attendue. Il faudrait que tous, faisant fi de nos patrimoines culturels acquis, nous devenions soudain des sujets kantiens pour la mettre en pratique. Or je croyais qu'il y avait longtemps que l'on avait démontré que l'épistémé qui fondait ce même kantisme était bien localisée et relative... Je ne dis pas que cela ne soit pas souhaitable (hormis cette possibilité, il ne reste que le chaos ou l'expérimentation au cas par cas pour trouver des modus vivendi, c'est-à-dire la lutte, littérale dans un cas, darwinienne dans l'autre), mais je me dis que c'est très théorique. Il serait peut-être bon de s'interroger d'abord sur ces fondamentaux, sur leur présence ou non dans les différentes régions du monde, pour voir si et comment on peut édifier ce monde merveilleux de diversité culturelle sans lutte à mort ni exploitation dont rêve Wolton.
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Régimes de l'alterité

9/4/2012

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Poursuivant ma réflexion erratique sur l'Autre, je note aujourd'hui que la question, complexe, a été faussée par des approches systémiques du problème qui en font un débat de valeurs à défendre ou à combattre à travers ce débat-même - une axiologie ou discours visant à justifier un ensemble de valeurs pré-existantes. Notre analyse de l'altérité est trop souvent biaisée par ce que nous pensons devoir penser de cette dernière. Nos imaginaires sont habités par ces "valeurs" culturelles, qui ne sont pas nécessairement thématisées et assumées per se, des sortes d'idéologèmes ou idées intégrées dans notre topique socio-culturelle, et qui structurent nuitamment nos discours et déterminent nos analyses. Par exemple, "il faut respecter l'autre", "il faut être ouvert d'esprit, ouvert à la découverte", "la diversité est source de richesse culturelle", "par le voyage, on peut s'enrichir grâce à la connaissance de nouvelles cultures", etc. - ou bien l'inverse encore!
Selon la société et la catégorie socio-culturelle dans laquelle on se trouve, on sera amené à considérer différemment la question de l'altérité. Et cela a au fond souvent très peu à voir avec la question philosophique de l'altérité en soi. Le rapport à autrui n'est pas une question binaire à laquelle on peut répondre par "pour" ou "contre". Elle ressort d'une dialectique subtile où une attitude "altruiste" peut cacher un paradoxe aboutissant à l'opposé du résultat escompté. C'est que les discours de l'Autre sont nés dans des conditions historiques précises, principalement celles des grandes découvertes et explorations qui ont accompagné l'expansion européenne et le colonialisme, du XVIe au XXe siècle, aboutissant au travail de l'anthropologie et de l'ethnologie, autour de figures comme Lévi-Strauss qui redonnent au Sauvage, au Primitif, au Barbare un statut, une légitimité, un droit de respect. Dans la longue et non aboutie histoire de la différence, ce mouvement qui bénéficie d'une certaine reconnaissance dans les années 1960 et 1970 est à l'origine de la vulgate humaniste qui dirige nos imaginaires occidentaux d'aujourd'hui : elle se résume dans ce mot d'ordre "il faut respecter autrui et la différence culturelle, et ne pas juger en prenant sa propre culture comme référent à valeur universelle". Ce leitmotiv fort sain et bien venu souhaitait promouvoir le décentrement du point de vue, afin de dé-européanocentrer le monde (et au passage le dé-anthropocentrer, le dé-logocentrer, etc.). Cela accompagnait de manière prémonitoire le monde qui arrivait et dans lequel nous vivons désormais, un monde post -ou hyper-moderne globalisé défini comme un monde multipolaire sans centre unique. Cet appel au décentrement et à la relativisation pour promouvoir la tolérance, à travers une certaine approche scientifique de l'altérité par les cultures "autres", a accouché malgré lui d'un relativisme culturel, promu en particulier par les cultural studies, là où il était le plus nécessaire, socio-culturellement parlant, à savoir dans les pays déjà multiculturels comme les États-Unis, le Brésil, etc. Ces cultural studies, accompagnent en fait, et malgré elles, l'impérialisme économique et culturel qui, en étendant son territoire, déploie en fait son être - qui est, comme l'analysait déjà Marx de manière prophétique, fondamentalement voué à se manifester dans la mondialisation. Cette vulgate relativiste culturelle est le terrain théorique nécessaire au néo-libéralisme pour se mondialiser. L'appel au respect des cultures autres du fait de leur droit à la différence sonne donc différemment il y a 50 ans et désormais. Quand les anthropologues des années 1950 et 1960 parlaient d'autrui, ils parlaient depuis des sociétés, les leurs, qui étaient encore fortement mono-culturelles ou qui pratiquaient encore, comme aux États-Unis, des formes d’apartheid rendant fort théoriques les pratiques du multiculturalisme. Ils parlaient d'autrui comme de celui qui habite loin de soi, qui habite dans son pays, sa région, sa classe, son ethnie - que l'on rencontre à l'occasion, mais pas cet autrui que l'on fréquente au quotidien. Or il y a une différence majeure. C'est une chose de vivre six mois dans un village d'Amazonie ou de Papouasie comme ethnographe, sachant que l'on va retourner vivre, étudier, enseigner, et aussi valoriser son séjour par la publication d'une monographie, là-bas, chez soi, au pays natal... Et c'en est une autre que de vivre au quotidien dans un environnement multiculturel (et ce n'est pas non plus une nouveauté de notre monde, loin de là) ou d'altérité radicale, pendant tout ou partie de sa vie, dans des contextes où les notions de minorité et de majorité sont bouleversées.
Ainsi le but premier de nos anthropologues s'est-il avec le temps trouvé quasi renversé, non dans ses intentions, mais dans ses résultats. Le relativisme servant de base à l'idéologie multiculturelle en vigueur de nos jours est devenu une manière subtile de consolider l'altérité de l'autre et de la figer, tout en lui reconnaissant le droit à cette altérité par le sacro-saint droit à la différence. C'est tout bonnement devenu un procédé qui objectivise l'altérité de l'autre, la radicalise sous le couvert du respect. Et peut-être qu'au fond, dans cette période de l'humanité où nous sommes amenés à frotter beaucoup plus qu'avant et de manière plus répétée nos différences culturelles les unes aux autres, ce multiculturalisme entendu comme un relativisme aliénant qui radicalise l'altérité, est-il une stratégie adaptative pour recréer de la distance, là où la proximité, ou plutôt la promiscuité, devenait difficile et douloureuse...?
Je reste persuadé que, d'un point de vue anthropologique, le réflexe diaïrétique (différenciation, séparation, distinction) est une des "catégories transcendantales" élémentaires de notre imaginaire qui témoigne d'une appétence forte pour le binaire, le dualisme, l'antagonisme, etc. Ce n'est pas la seule, bien sûr, mais une des plus fortes tendances archétypales, et celle qui est toujours réactivée quand le processus d'identité est en jeu - parce que le processus individuel d'identité est lui-même sous le régime de cette aliénation originelle qu'il faut régler par la différenciation (cf la dialectique du miroir). Il y a donc un instinct noétique de séparation et de distinction - comme le théorisait Steiner, le langage ne sert pas originellement à communiquer au plus grand nombre, mais à séparer des groupes parlant le même dialecte et cherchant à se distinguer par ce langage "ésotérique" ou exotérique aux autres groupes... N'en déplaise à un autre mythe structurant et fondateur de nos imaginaires, celui de l'universel et de l'unité du Même, nos appartenances culturelles reposent sur un processus identitaire dont la structure est fondamentalement diaïrétique. Il est donc normal que socialement, nous soyons plus prompts à pratiquer le rejet de l'Autre (en commençant par la thématisation d'autrui comme autre, début du rejet) que l'intégration dans le Même... On pourrait presque parler d'une aporétique de l'altérité...
Tout au moins, pour en venir là où je voulais, il faut bien reconnaître l'existence de régimes de l'altérité. Il y a des stratégies de l'altérité, une économie de l'altérité, une dialectique, une politique, un imaginaire, une ou des idéologie(s), une psychanalyse de l'altérité, et la question doit donc être abordée avec à l'esprit ce feuilletage complexe de la problématique.
Par exemple, il est devenu commun d'utiliser l'argument relativiste comme argument d'autorité lorsque des groupes se heurtent autour de pratiques culturelles - le port du voile, le sacrifice rituel, la consommation de viande de chien ou de foie gras, la corrida, etc. Ce qui ressort de ces débats, c'est la récupération et l'instrumentalisation du droit à la différence d'un point de vue politique, comme arme de pouvoir via le discours : cette référence à ce droit permet d'un point de vue argumentatif d'ôter le droit de réponse et jusqu'au droit de parole à l'interlocuteur. L'altérité de soi est alors cultivée face à l'autre pour justifier, voire imposer sa différence - ce qui importe, c'est avant tout d'utiliser cette différence dans le rapport antagonique afin de confirmer et solidifier son identité (son rapport au Même). On aboutit alors à une époché, ou suspension du jugement social. Les valeurs sont entre-annulées, puisqu'elles valent toutes la même chose. L'axe axiologique autrefois verticalisé (le bien-le mal - remarquer la dimension binaire elle aussi de cet axe) est euphémisé dans son horizontalité réduite à des équivalences relatives. Alors que les individus confrontés régulièrement à cette altérité culturelle, porteurs de valeurs précises (et parfois contradictoires, d'ailleurs), sont du côté de cette radicalisation de l'altérité afin de conserver leur identité sociale et culturelle, les élites intellectuelles, les institutions, certaines communautés, les médias souvent (mais pas toujours) ont tendance à promouvoir l'axe horizontal d'un multiculturalisme de bon aloi. D'où les divorces, les tensions, les frictions. D'un point de vue social,  on assiste à d'une part une résurgence des valeurs antagonistes dans une même société, et à l'aplanissement de ces valeurs par cette même société. Le relativisme multiculturaliste ainsi pratiqué et utilisé aboutit à des clivages grandissant entre des individus de plus en plus confrontés à l'altérité culturelle et donc confirmés en permanence dans leur différence, plus conscients de cette dernière et de la spécificité de leurs valeurs (idéologèmes), et un discours institutionnel niant la valeur de ces valeurs en leur déniant toute hiérarchie. Ce clivage est ce qui définit, d'un point de vue psychosocial, la mondialisation. Quelques sociétés résistent, mais mal, à ce clivage, comme la France avec son fantasme de la République et de ses valeurs à intégrer pour être intégré (interculturalisme vs. multiculturalisme). La grande disparue officielle de l'hyper-modernité, c'est bien la valeur - pas étonnant donc qu'au niveau local, elle ne cesse de revenir sous des formes plus localisées, extrêmes, radicalisées...
Si l'on reconnaît l'importance du décentrement et du droit à la différence, du respect nécessaire que toute tradition doit recevoir en soi, il est important d'un point de vue sociétal de réintroduire la valeur comme hiérarchisation des pratiques au sein d'un groupe transcendant les intérêts individuels. Si notre destin est de vivre de plus en plus ensemble, la solution ne peut être trouvée dans le communautarisme qui aplanit les pratiques dans les relativisme pour finalement les radicaliser, tout comme il radicalise l'altérité culturelle. Tant que nous vivrons dans des sociétés elles-mêmes dirigées par des nations-états, il est vain de nier l'importance de valeurs transcendant la diversité du corps social pour le fonder comme corps - il est même risqué d'entretenir cette utopie. Tout n'est pas équivalent, dans ce domaine. Il faut donc se féliciter de la déconstruction de l'ancien universalisme, qui laisse des bases saines pour reconstruire de l'universel - même si celui-ci est voué à être plus relatif et plus local que par le passé!
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Istambul 2.

1/27/2012

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Ce qu'il y a de commun entre Istambul et Rhodes, n'en déplaise à Kostas qui m'affirmait qu'Istambul était une ville grecque, ce sont les chats. L'amour pour les chats. Ils sont des dizaines dans les rues, couchés par petits groupes sur leurs territoires, nourris pas les habitants du quartier, gras comme des pachas... 
Pendant ce temps, dans le Bosphore, un tanker échoué couché sur le flanc est tiré par un remorqueur au milieu de dizaines d'autres navires géants à l'ancre.
Au musée archéologique, grand choc esthétique. Le tombeau dit d'Alexandre d'un roi de Sidon nous laisse sans voix. Cette suite de sarcophages d'une intense beauté macabre nous occupe pendant des heures. Sur une tombe de l'époque impériale romaine, une scène à briser le coeur : une femme, probablement la défunte, étreint d'un dernier baiser un angelot, tandis qu'un autre petit Eros, retenu par un compagnon, essaye de rattraper l'âme de la morte s'envolant sous la forme d'un coeur ailé... Sur la gauche, un autre ange s'apprête à jeter une couronne dans le feu, alors qu'un ami s'accroche à lui pour l'en empêcher. Scène déchirante de séparation des amoureux qui n'arrivent pas à se résoudre à se laisser séparer par la mort... 1800 ans plus tard, le message est intacte, et passe : l'amour est une vérité anthropologique. Comme disait Marguerite, oui, le mot amour existe...
Les vestiges de Troie sont l'occasion d'un autre type de tristesse. Hissarlik VII a, comme l'appellent les archéologues, un nom qui me revient de mon passé d'helléniste, la Troie du récit homérique, figure parmi les autres couches archéologiques trouvées à Hissarlik. Neuf ou dix au total, et la strate VIIa n'en est qu'une parmi d'autres. Est-ce que les Allemands qui ont fouillé le site ont emporté les plus beaux vestiges? Ici il ne reste que des morceaux de tesson, des bribes de céramique, des fragments de fibule, à peine de quoi imaginer - le fantôme d'un village anatolien du deuxième millénaire avant J.C...  La salle qui abrite les vestiges mésopotamiens est plus impressionante avec les céramiques vernissées de Babylone.
Istambul est parcourue de citernes souterraines construites à l'époque byzantine. La plus célèbre est la citerne Basilica, construite dans le quartier du Grand palais impérial, à deux pas de Sainte-Sophie, par l'empereur Théodose. Cet empereur fanatique qui ferma les temples païens, interdit le culte des anciens dieux, fit briser les statues profanes, fut le grand fossoyeur de la culture greco-romaine. Il fit transporter à Constantinople tout ce qui lui paraissait "acceptable" (on dirait maintenant "religieusement correct") dans les chef-d'oeuvre de l'antiquité qui avaient résisté au temps. Quelques-uns survécurent jusqu'à la misérable quatrième croisade de 1204, où les croisés, incultes, leur firent un sort - sous la direction de cette infâme république de Venise, marais de marchands mécréants... On peut voir une trace de tout cela dans les citernes, entre autre, à Istanbul. Les magnifiques colonnes de marbre et granit qui soutiennent ses voutes sont les colonnes de ces temples antiques jetés au sol par Théodose. Les plus beaux palais finissent toujours en matériau de fondation pour les édifices grossiers à venir... Quel drôle d'endroit que cette citerne, magnifique tombeau d'une civilisation... Quel cynique architecte a pris le soin, pour une réserve d'eau la plupart du temps inondée, souterraine et donc invisible, de l'orner de si belles colonnes aux chapiteaux si richement décorés... Superbe et affligeant... Tout le quartier historique d'Istanbul invite en permanence à ces douloureuses réflexions, et la beauté y côtoie toujours le signe de sa très prochaine décadence. Les ruines sont une lèpre sur le visage grimaçant des empires.
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Dix-huitième au vingt-et-unième  jours.  Istanbul 1.

1/25/2012

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Il pleut sur Sainte-Sophie. Je suis seul ou presque devant cette chimère. Un vendeur ambulant de châtaignes éclaire inutilement le pavé mouillé. L'appel à la prière des muezzin retentit partout dans l'air : Istanbul est une immense mosquée.
Au-dessus du marché au poisson sur les bord de la mer de Marmara, les mouettes par centaines fond du surplace en piaillant - gare au marchand qui quitterait son stand. Il pleut doucement sur la ville, ses isbas de bois acidulées, ses immeubles art déco, ses ruines et ses palais. C'est la nuit déjà, il fait froid, les collines autour de la ville sont couvertes de neige.
Ici les gens sont différents. Différents de la Grèce voisine, mais aussi différents entre eux, divers. Je respire. J'habite depuis si longtemps en Corée, et passe si peu de temps hors d'Asie, que j'ai du mal à m'habituer à Rhodes, à cette espèce "d'unité ethnique" méditerranéenne... A Paris, je n'ai pas de problème - avec la diversité bigarrée des gens, je ne remarque rien. Istanbul est comme la France, c'est un carrefour, on sent l'Asie des steppes, les rivages cosmopolites d'Anatolie, les tribus sémites, les blonds du Caucase et les Seljuks conquérants...
Ce qui me frappe soudain, c'est l'absence de barbe. Les gens sont rasés, ils ont les joues roses et les yeux en amande comme les Ouzbeks. Et ici, personne ne me parle en turc : on me prend pour un Arabe. Dommage, j'aurais bien aimé être turc.
On n'en finit pas d'être fasciné par Sainte-Sophie. Quels architectes illuminés ont pu accoucher de cette masse à la fois étalée, sans aucun envolée, mais légère, mais gracieuse... Elle est dans un dialogue nocturne fascinant avec la mosquée Bleue de l'autre côté de la place. Je tombe sous le charme.
L'hôtel où je retrouve JY est juste sur le côté de Saint-Sophie. Le quartier est fermé aux voitures, on n'entend que la sonnerie des trams qui remontent la rue depuis le pont Galata. On va prendre un verre sur une des nombreuses terrasses de la ville, au café Pierre Loti - un amoureux de la Sublime Porte. On mange dans le restaurant de l'hôtel réputé pour sa cuisine de cour ottomane. Je me régale d'un kebab d'oie en feuilleté au riz pilaf doux. J'ai quatre jours pour découvrir cet autre monde.
A l'aéroport, au guichet d'informations, la jeune femme avant moi demandait à l'employé comment se rendre au centre-ville. "Ma pauvre dame, Istanbul est grande comme la Belgique, alors de quel centre parlez-vous? Vous pouvez bien imaginer qu'il y en a plus d'un!". Dans cette mégépole de 12 millions d'habitants, je respire enfin.
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Rhodes. Dix-septième jour.

1/25/2012

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Je me lève avec le beau temps. Je vais voir Angeliki pour lui demander d'imprimer quelque chose pour moi. Elle me répond gênée que je dois faire la vaisselle avant de partir et descendre la bouilloire électrique. Je n'ai laissé dans l'évier qu'une assiette, un verre et trois couverts sales à laver... Elle me dit que la femme de ménage se plaint. Je comprends et lui dis que je m'exécuterai... Je quitte ces lieux qui puent le ressentiment.
Je cours au musée archéologique retrouver ce qu'il y a de plus beau dans cette île : le passé.
Dans la première salle remplie d'objets votifs trouvés dans l'immense nécropole de la ville, une petite poterie suspendue représente un homme tout rond assis en train de déféquer, les mains sur le ventre... Quelle drôle d'idée de mettre ça dans sa tombe...
Je poursuis mon périple dans les salles qui couvrent toute la préhistoire et l'histoire de la Grèce antique à travers ces centaines d'objets trouvés dans les tombes et les puits à offrande des sanctuaires. Deux belles têtes du dieu Archéloos sont troublantes. Sa tête mi-homme mi-boeuf présente des oreilles et deux cornes, et sous le menton deux protubérances carrées, figuration abstraite de sa barbe : on dirait un diable, un de ces méchants de comic books, un monstre de film d'anticipation. Eternité des formes.
Plus loin, une curieuse petite flasque de céramique blanche est décorée d'un jeune Africain habillé d'une tenue "exotique" très typisée, comme une djellaba à franges, avec palmier en fond. Un vrai petit document d'ethnographie, exotiste avant l'heure. Je serai ravi et étonné de trouver le même objet au musée d'archéologie d'Istanbul trois jours plus tard... Cela devait être un objet produit en série, comme les poupées de danseuses de flamenco et les assiettes peintes représentant le Sacré-Coeur.
Les salles sont toujours aussi bien entretenues, dotées de panneaux d'explication très bien documentés en grec et anglais. J'avance lentement. Les gardiens qui attendent impatiemment mon départ, ferment les portes des salles derrière moi, l'une après l'autre. Quand je sors de la dernière, prêt à aller ailleurs, "Ca y est, entre hier et aujourd'hui, vous avez tout vu, vous pouvez partir maintenant", me dit un gardien. Bien mon capitaine.
Il fait beau. Je me perds dans les ruelles à nouveau. Tout seul, j'erre cette fois-ci dans la partie ouest de la vieille ville. Bien des ruines, qui laissent beaucoup de place aux jardins cachés derrières les murets, on voit pointer ici un palmier, là un bougainvillée. Cette partie est pourtant bien entretenue, rénovée en partie. Ce mélange d'habitations et de ruines propres est typiquement romantique. Il reste aussi beaucoup de maisons ottomanes où les fenêtres orientales et les bow-windows de bois n'ont pas été effacés pour être plus "gothiquement" correctes. 
Je me rends compte qu'ici tout le monde me parle en grec. C'est sûrement ma barbe - signe distinctif de l'homme grec... Je ne vois pas beaucoup d'enfants : je me demande si les petits garçons déjà naissent barbus?
Je rentre travailler et le soir retourne avec mon portable au Montage. J'y travaille, mais suis chassé de ma table vers 21h, quand la salle se remplit de réservations. Je finis sur une petite table haute au fond, à manger des très mauvaises pâtes. Quand l'ordinateur n'a plus de batteries, je rentre. Il est presque minuit. Je dois faire ma valise. Demain je pars pour Istanbul...
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La trace de réduction balsamique en tube et la pluie de baies roses qui au premier coup d'oeil révèlent l'inanité de cette assiette de pâtes...
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Rhodes. Seizième jour.

1/24/2012

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Je vais voir Angeliki dans son bureau pour lui dire que je pars vendredi et lui demander de me réveiller le matin, et aussi de me réserver un taxi. Nous discutons. Elle me demande enfin qu’est-ce que j’écris. Je lui explique brièvement. Elle me dit qu’elle aime la cuisine chinoise. Elle lui manque, elle a habité à Hong Kong. Elle a aussi habité à Londres, et pourtant  me demande ce qui est connu dans la cuisine indienne. Je lui parle des currys. Elle me dit que bien sûr, elle connaît. Elle me dit que les Indiens et les Chinois n’aiment pas la cuisine grecque, quand ils viennent, ils trouvent que c’est fade. Mais la cuisine grecque est simple et délicieuse. Etc. J’acquiesce. J’acquiesce à tout. Je sens que ce n’est pas une conversation, il s’agit d’Angeliki partageant ses idées sur la gastronomie. Au cas où cela pourrait m’aider pour mon livre. En plus, elle doit me réveiller vendredi matin, donc…

Je lui demande tout de même si elle n’a pas eu envie de rester à l’étranger. Pourquoi elle est rentrée. Et si maintenant, avec son contrat au Centre qui se termine en avril, elle a des projets, des pistes ? Elle est revenue au pays pour s’installer. Se marier. Elle a la trentaine, il faut faire sa vie de femme. On sent qu’elle est revenue à contrecœur, sans vraiment le choix, comme les saumons. Pour l’avenir, elle ne sait pas encore. Elle est professeur d’anglais, mais pas titulaire. Ce sera dur de trouver un job dans l’enseignement, l’éducation nationale est saturée, elle va voir…

Je pars vers le musée d’archéologie situé dans l’hôpital des Hospitaliers de Saint-Jean. Construit par Jean d’Amboise au XVe siècle, c’est le plus grand bâtiment de l’île datant de cette époque qui soit resté en aussi bon état. C’est une bâtisse spacieuse, fonctionnelle, construite autour d’une grande cour avec des dépendances. Une sorte de cube gothique avec le charme indéniable des vieilles pierres, mais une simplicité provinciale… Pas de fioritures, un plan sans surprise, des escaliers qui montent tout droit marche après marche sans rambarde, la même pierre poreuse du cru… L’endroit me séduit cependant par ses espaces, son silence, son vide. Même les œuvres d’art exposées, dans la grand-salle, semblent comme invitées, discrètes le long du mur…

Je me régale. Il y a tant d’années que je n’ai vu d’art grec ou romain de visu… Les stèles des chevaliers sont bien sûr touchantes, mais elles ne vous parlent pas. Elles sont muettes. Comme un visage sans regard. Alors que dans les salles attenantes, les œuvres grecques et hellénistiques tout de suite créent un lien à travers les millénaires… A vrai dire, ce sont des copies petit format d’œuvres célèbres de grands maîtres de l’époque classique que les bourgeois du coin, deux ou trois cents ans plus tard, commandaient pour décorer l’atrium de leur villa. Un peu comme, maintenant, une reproduction de Mona Lisa dans le salon, ou une Vénus de Milo dans le jardin… Un goût bourgeois, on aimait l’Aphrodite dite « pudique » qui, surprise au sortir du bain, fait le geste de relever son voile d’une main, alors que l’autre cache son sein… On a perdu l’original depuis longtemps, alors on se contente de modèles, de pâles reproductions – et ceux qui sont ici sont à Praxitèle ce qu’une pietà en bakélite est à Michel-Ange… Mais à l’ère de la reproduction mécanique de l’œuvre d’art, même une piètre copie d’un atelier d’esclaves du Ier siècle a de l’aura…

Pourtant l’école de sculpture rhodienne était reconnue. C’est elle qui à l’époque hellénistique nous a donné les chefs-d’œuvre baroques que sont le Laocoon du Vatican ou la victoire de Samothrace du Louvre. Mais il n’en reste rien sur place , ou presque. Je suis plus touché par une incroyable tête de femme venue d’une tombe de notable, une œuvre locale sans prétention, d’une présence troublante. Comme aussi cette stèle de tombeau représentant une fille éplorée disant adieu à sa mère. Peut-être que j’aime ces œuvres car elles me parlent d’autre chose au-delà d’elles-mêmes, et que leur expression plastique renvoie à des êtres, des sentiments, des situations très concrètes… Très anciennes, mais toujours palpables.

Au fond du petit parc, dans le jardin d’une ancienne maison ayant miraculeusement gardé son intérieur ottoman à l’intérieur de l’enceinte du musée (et ne l’ayant conservé qu’à des fins muséographiques), sous un portique, de superbes mosaïques romaines sont exposées aux murs. Un petit moment où pointerait le syndrome de Stendhal, si les gardiens ne venaient me chasser : il est trois heures.

Je pars à la recherche du restaurant recommandé par Angeliki dans la ville nouvelle au sud. Quartier gris, un peu déprimant, de villas fermées et de résidences. La taverne est fermée l’hiver. Je fais demi-tour, et rentre manger dans le centre où j’ai comme mes habitudes.
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Rhodes. Quinzième jour.

1/18/2012

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Beau temps à nouveau. Mais je reste toute la journée à travailler dans ma chambre.
Le soir, je décide d'aller travailler et manger dehors, au café Montage sur la croisette que m'avait recommandé Alexander. C'est un endroit sympathique, bien décoré, chaleureux, avec cuisine ouverte. Je mange mal, mais je passe un moment agréable et j'écris bien.
En sortant, je rentre par la plage de galets, ces galets que l'on trouve partout au sol des maisons, des rues... Je vais toucher la mer, étrangement l'eau est chaude alors que la nuit est froide, battue par le vent.
Je pense à tout ce que je dis, écris et pense de bêtises sur les stéréotypes nationaux. Je pense que la plupart des gens vivent encore entourés des gens de leur milieu, de leur classe, de leur tribu, et méprisent les autres, essayent de les éviter, se sentent aliénés d'avoir à travailler et vivre avec ces derniers. On ne cherche qu'à fréquenter des gens qui nous correspondent, c'est à dire des êtres correspondant à nos penchants. Au fond, c'est une manière essentialiste d'aborder les relations sociales. Je n'aime que ceux que je peux aimer, ceux qui sont toujours déjà préalablement aimables pour moi. Ce que l'on appelle les élections affectives n'est qu'une cooptation déterminée. On ne cherche à connaître que ce que l'on connaît déjà, et quand on croit se risquer à l'inverse, ce n'est rien d'autre qu'une attirance pour ce que l'on croit déjà connaître de l'inconnu ou pour les contours les plus banals de ce dernier pris comme concept - l'Inconnu. Et c'est sur ce fond que nous espérons construire la mondialisation, l'Europe, nos nations melting-pots, la transnationalité... Je n'aurais pas dû manger ce hamburger...
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Rhodes. Quatorzième jour.

1/17/2012

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Pluie et vent. A nouveau. Ce foutu climat bipolaire...
J'ai travaillé toute la journée sans sortir, comme un petit soldat.
Nulla dies sine linea. Je pense au vieil impératif. Dans le passé, je me reprochais souvent de ne pas l'appliquer assez. Et puis ici, à reprendre mon curriculum, à voir toutes les foutaises que j'ai écrites, et tout ce que je n'y ai pas mis, ce qui n'est pas publié ni publiable... A l'ère des textos, des emails, des Facebook, des Twitter, en fait, même le plus illettré ne passe pas un jour sans écrire une dizaine de lignes au moins...
Je suis sorti pour porter mon linge à laver au Lavomatic. Très bien fait, puisqu'une charmante dame se charge de le laver, sécher, plier, pour 6 euros. Elle rentre dans mon top 10 des Grecs aimables.
Je vais pendant ce temps écrire au café Pueblo, en prenant une bière. Enfin, plusieurs. L'endroit est joli, dans une vieille demeure rénovée, très branché, un peu aseptisé peut-être. A 20h, il est plein, ce qui est fascinant pour un lundi soir de pluie... Quelque chose me frappe, puis me dérange, sous l'odeur de fumée de cigarettes. Il flotte un fort parfum de lessive, ces adoucissants bon marché qui non seulement adoucissent, mais surtout impriment aux vêtements une odeur estampillée "propre". Avec ça sur le dos, vous pouvez ne pas prendre de douche, avoir le cul gras et l'entrejambe douteuse, vous sentez propre à la ronde. Cela me rappelle les Américains qui eux aussi raffolent de ces odeurs de lessive ostentatoires. On reproche aux Français leur usage hypocrite du parfum. Moi je dis : trop propre pour être honnête, et je me méfie de ces étalages de "fraîcheur". En France, je me demandais parfois si ce n'était pas une question de classe, les classes "laborieuses" sentant plus l'adoucissant que les bourgeois et les bobos, plus douteux sur l'hygiène - car un peu de crasse est classe, et l'odeur corporelle a été revalorisée depuis 50 ans - c'est désormais un privilège de classe d'oser sentir mauvais. Puer la sueur, la promiscuité, la misère n'appartient plus exclusivement aux pauvres, qui ont au moins une machine à laver. En France, le peuple sent bon. Enfin... Meilleur qu'autrefois, bien sûr ce que je dis est très relatif... Et bien sûr, n'a aucune valeur. J'espérais tenir une idée, peut-être une théorie, mais je me rends compte à l'usage que ça ne vaut rien. J'abandonne là. Après tout l'odeur de la lessive des Grecs tient peut-être aux produits proposés par Unilever, qui semble avoir le monopole ici, ou à leurs modes d'emploi concernant les quantités à utiliser qui sont mal traduits...?
Je vais dans un restaurant qui s'affiche, chose rare, comme une "taverne à poissons". J'ai désespérément envie d'un poisson grillé. Je suis le seul client. Le patron obèse ne me dit rien qui vaille, mais trop tard, il vient en personne s'occuper de moi. Une soupe, qu'il me recommande chaudement - le plus mauvais brouet à base de fécule, de bas morceaux de chair de poisson et de rares légumes. Une piteuse daurade, minuscule, qu'il vient me découper à la table sur plateau comme si nous étions au Meurice - elle baigne dans le citron et l'huile d'olive amère. Garnitures : les plus mauvais légumes de ma vie (chou-fleur bouilli, herbes style amarante, bouillies, courgettes bouillies - le tout SANS aucun goût - hallucinant). Des pommes de terre frites maison, qui rattrapent le tout, avec un riz pilaf moins catastrophique que le reste. Le tout accompagné d'un quart de piquette de blanc local... 30 euros pour cette horreur. Je me souviens quand la Grèce était un pays abordable. Quel intérêt présente-t-elle maintenant que l'adoption de l'euro et le succès touristique l'a projeté dans une inflation folle la mettant sur le même pied que les autres pays d'Europe? Pas assez classe et trop bondée pour les gens qui en ont les moyens, trop chère pour ceux qui ne les ont pas... A ces prix-là, je comprends que les gens partent en masse vers le sud-est asiatique, aussi glauque mais moins cher, et où, au moins en général, on mange mieux... Le tourisme de masse a réalisé ce paradoxe qu'il faut être millionnaire pour voyager bien, alors qu'il n'a jamais été si simple ni si commun de voyager. La démocratisation a aplani le monde, transformé une partie de ce dernier en aire de jeux pour une autre, et confirmé l'élitisme du voyage, celui des livres de voyageurs, celui des Segalen, Kerouac et Bouvier.
Encore une fois, mon pessimisme par rapport à notre monde et à la Grèce en particulier (ce que j'en vois, c'est à dire rien, je le confirme une nouvelle fois...) vient d'un mauvais repas. N'est-ce pas un paradoxe que j'en sois rendu à ces extrémités alors que je suis venu écrire un livre sur la gastronomie?
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Rhodes. Treizième jour.

1/16/2012

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Rien. Travail. Pluie.
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Rhodes. Douzième jour.

1/16/2012

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Le Centre, de nuit...
Rien. Ou presque. J'ai travaillé.
Aujourd'hui à nouveau il pleut. Alors forcément la mer est plus belle, irisée, laiteuse.
Le soir je sors pour manger. Il est 21h et je crains de ne plus pouvoir être servi. Vieux réflexe coréen. Ici, même un soir d'hiver, on mange tard. D'ailleurs le centre-ville grouille de monde, ou plutôt de voitures, qui, comme dans toute ville de province, filent dans les rues la musique à fond... Un samedi soir, ça se fête.
Pas pour moi. Je mange dans un restaurant tout propre dans l'immeuble du Mark & Spencer. La cuisine est grecque, la décoration soignée et efficace. Je suis le seul client. Je mange sous le regard morne et fixe de la serveuse.
Je commande un plat de pois chiches en purée et des boulettes de viande de mouton cuites dans la tomate et servies avec du riz (un plat plus ou moins appelé "quelque chose kaka"). C'est bon, mais terriblement répétitif. Je pense que deux pages me suffiraient pour faire une liste des produits vraiment utilisés par la cuisine grecque et des plats les plus consommés...
Je rentre par l'avenue des platanes. Leurs branches blanches et nues sous les lumières de la rue ressemblent à de longues racines aquatiques se balançant sous la mer à l'envers. La nuit est belle sous le vent, je suis un peu saoul.
 Je rentre dans mon Centre désert.
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    Benjamin's Moods

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