Dominique Wolton donnait une conférence hier soir, et je n'ai pu en écouter que des bribes, mais au fond, je me demande si ce qu'il présentait n'était pas qu'un tissu de bribes... Bribes d'une pensée relevant plus de la conviction intime, de valeurs personnelles (ou imaginées telles) et a priori, qu'il s'acharne à rendre universelles et à légitimer en recourant à sa position de "chercheur". Il les résumait fort bien durant les questions-réponses de la manière suivante, quasi littéralement : nous ne pouvons pas aimer tout le monde, nous n'avons pas à le faire, nous ne pouvons pas comprendre tout le monde, cela n'est pas important ni possible, ce qui compte c'est de développer le respect d'autrui et de sa différence culturelle dans la valorisation de la diversité culturelle. Pour cela, la communication (son dada) est la chose la plus importante, etc. Et il embraye, cédant au vieux paternalisme européen, sur la nécessité pour la Corée du Sud d'être fière de sa culture et de son identité, de les diffuser, de les cultiver; comme on exhorte un adolescent à prendre confiance en lui : vas-y, fonce, n'aie pas peur! Bien sûr, il n'est pas question d'impérialisme ni de nationalisme... Lui qui a visité plusieurs fois la Corée avec son sbire Dayez-Burgeon comme introducteur spécialisé et spécialiste, ne sait-il donc pas encore que la Corée n'a pas attendu pour avoir une culture et le faire savoir au monde? Mais qu'en revanche, le modèle angélique qu'il prône ne semble pas avoir été celui retenu par les institutions et les chaebols coréens, qui voient la culture coréenne comme une industrie et une gamme de produits software, insérés eux-mêmes dans une politique marketing plus large visant à vendre les produits hardware de l'industrie coréenne en saturation sur le marché local et qui ne peut survivre que par l'expansion ad infinitum sur les marchés mondiaux. Il y a certes, en période de mondialisation, une obligation structurelle à redéfinir son identité culturelle du fait du contact accru et du frottement régulier avec l'étranger. Mais le vrai moteur de la hallyu n'est pas d'informer fièrement le monde de la valeur intrinsèque de la culture coréenne. Ce n'est pas une affirmation de soi identitaire. Ou pas uniquement. L'expansionnisme culturel dont nous sommes actuellement témoins ne vise qu'à seconder l'impérialisme économique qui est à la base du modèle de l'économie et de toute la société sud-coréenne contemporaine. Modèle martial et guerrier, hérité des tumultes du XXème siècle et du modèle séminal de notre modernité coréenne, le Japon impérial, lui-même façonné sur un certain capitalisme colonialiste européen... Dans une société encore fortement structurée dans son identité collective sur la notion de peuple ethniquement unitaire et qui cultive le nationalisme avec ingénuité, je ne vois pas où les bonnes intentions de Wolton peuvent prendre litière... Certes, il a bien raison lorsqu'il dit que nous ne nous comprendrons certainement pas les uns les autres dans le monde mondialisé. Il en est la preuve vivante. Ces rencontres superficielles, bien pensantes et autistes reposent sur nombre de malentendus. Wolton croit avoir porté la bonne parole du respect mutuel en terre coréenne. Les Coréens ont entendu qu'ils avaient bien raison d'essayer de voler la place jusqu'alors prépondérante qu'avaient les Occidentaux sur la scène-monde et qu'ils se devaient de répandre l'évangile de leur culture sur cette dernière. Avec pour apôtres Girl Generation et Kangnam Style... Il pensait culture (Kultur), langue, gastronomie, littérature, patrimoine folklorique, arts, etc. Ils pensaient frozen bibimbap, K-pop, drama...
Je me dis, tout de go, qu'une communication où l'on ne se comprend pas les uns les autres n'est pas une communication idéale... Il passe bien quelque chose, mais qui ressemble plus au bruit, et qui véhicule les malentendus plus que l'information... Cela me semble le modèle même de la communication à l'époque de la mondialisation... Mais c'est un autre débat. Mes questions sont à un autre niveau. Je me dis que pour que le respect d'autrui, sa reconnaissance en tant qu'autre, s'opère, il faudra tout d'abord deux éléments qui me semblent manquer sévèrement un peu partout dans le monde, mais particulièrement dans cette région du monde. Le premier est le désir. Il faut un désir de l'autre pour commencer à le voir, puis à le regarder comme autre. Il faut un désir de reconnaître l'autre comme autre, pour le voir autre. Il faut encore le désir de la différence pour voir cette dernière comme un élément positif et non un vecteur de souillure et de perversion. Or je vois ici une passion du Même et une défiance cultivée et collective du Différent. Je me pose la question de ce désir de la différence. Qui va le cultiver, l'enseigner, le transmettre, le valoriser, qui va le faire surgir? Où est le lieu de l'autre dans une société comme celle-ci, et surtout, comment ce lieu, absent jusqu'à présent, ou présent simplement en creux, comme en hors-champ, va-t-il être créé? Par quelles forces?
Enfin, et j'aurais pu commencer par cet élément, il faut encore que l'on ait un concept de l'altérité qui se rapproche de celui sur lequel Wolton fonde ses raisonnements. Or son concept me paraît terriblement européen, là où Wolton le prend comme un universel. L'Autre ne se fonde comme tel qu'en tant que je suis Moi, personne définie en face de cet Autre. Ou plus exactement, moi et autre sont pris dans une dialectique constructive des deux entités. C'est la personne qui est au fondement de la possibilité de l'Autre de l'altérité (s'entend ici, l'altérité valorisée de respect et d'échange qu'évoque Wolton). Or il semble acquis que la notion de personne, très occidentale dans l'usage qui en est fait ici, ne connaît pas les même avatars dans le monde. Dans une culture où l'identité individuelle est avant tout sociale et inter-relationnelle (moi comme un autre, l'autre comme un autre moi), le concept d'altérité prend une tout autre figure (je parlais ailleurs de régimes de l'altérité : altérité, certes, mais ayant des fondements et aboutissements différents). Et il ne pas sûr que sous ce masque, il produise les mêmes grimaces doucereuses que l'altérité rêvée par Wolton. A bien des égards, son concept de respect mutuel de la différence dans le multiculturalisme relève d'une morale toute kantienne, honorable bien sûr, mais plus philosophique et idéale que présente concrètement sur les terrains où elle est tragiquement attendue. Il faudrait que tous, faisant fi de nos patrimoines culturels acquis, nous devenions soudain des sujets kantiens pour la mettre en pratique. Or je croyais qu'il y avait longtemps que l'on avait démontré que l'épistémé qui fondait ce même kantisme était bien localisée et relative... Je ne dis pas que cela ne soit pas souhaitable (hormis cette possibilité, il ne reste que le chaos ou l'expérimentation au cas par cas pour trouver des modus vivendi, c'est-à-dire la lutte, littérale dans un cas, darwinienne dans l'autre), mais je me dis que c'est très théorique. Il serait peut-être bon de s'interroger d'abord sur ces fondamentaux, sur leur présence ou non dans les différentes régions du monde, pour voir si et comment on peut édifier ce monde merveilleux de diversité culturelle sans lutte à mort ni exploitation dont rêve Wolton.
Je me dis, tout de go, qu'une communication où l'on ne se comprend pas les uns les autres n'est pas une communication idéale... Il passe bien quelque chose, mais qui ressemble plus au bruit, et qui véhicule les malentendus plus que l'information... Cela me semble le modèle même de la communication à l'époque de la mondialisation... Mais c'est un autre débat. Mes questions sont à un autre niveau. Je me dis que pour que le respect d'autrui, sa reconnaissance en tant qu'autre, s'opère, il faudra tout d'abord deux éléments qui me semblent manquer sévèrement un peu partout dans le monde, mais particulièrement dans cette région du monde. Le premier est le désir. Il faut un désir de l'autre pour commencer à le voir, puis à le regarder comme autre. Il faut un désir de reconnaître l'autre comme autre, pour le voir autre. Il faut encore le désir de la différence pour voir cette dernière comme un élément positif et non un vecteur de souillure et de perversion. Or je vois ici une passion du Même et une défiance cultivée et collective du Différent. Je me pose la question de ce désir de la différence. Qui va le cultiver, l'enseigner, le transmettre, le valoriser, qui va le faire surgir? Où est le lieu de l'autre dans une société comme celle-ci, et surtout, comment ce lieu, absent jusqu'à présent, ou présent simplement en creux, comme en hors-champ, va-t-il être créé? Par quelles forces?
Enfin, et j'aurais pu commencer par cet élément, il faut encore que l'on ait un concept de l'altérité qui se rapproche de celui sur lequel Wolton fonde ses raisonnements. Or son concept me paraît terriblement européen, là où Wolton le prend comme un universel. L'Autre ne se fonde comme tel qu'en tant que je suis Moi, personne définie en face de cet Autre. Ou plus exactement, moi et autre sont pris dans une dialectique constructive des deux entités. C'est la personne qui est au fondement de la possibilité de l'Autre de l'altérité (s'entend ici, l'altérité valorisée de respect et d'échange qu'évoque Wolton). Or il semble acquis que la notion de personne, très occidentale dans l'usage qui en est fait ici, ne connaît pas les même avatars dans le monde. Dans une culture où l'identité individuelle est avant tout sociale et inter-relationnelle (moi comme un autre, l'autre comme un autre moi), le concept d'altérité prend une tout autre figure (je parlais ailleurs de régimes de l'altérité : altérité, certes, mais ayant des fondements et aboutissements différents). Et il ne pas sûr que sous ce masque, il produise les mêmes grimaces doucereuses que l'altérité rêvée par Wolton. A bien des égards, son concept de respect mutuel de la différence dans le multiculturalisme relève d'une morale toute kantienne, honorable bien sûr, mais plus philosophique et idéale que présente concrètement sur les terrains où elle est tragiquement attendue. Il faudrait que tous, faisant fi de nos patrimoines culturels acquis, nous devenions soudain des sujets kantiens pour la mettre en pratique. Or je croyais qu'il y avait longtemps que l'on avait démontré que l'épistémé qui fondait ce même kantisme était bien localisée et relative... Je ne dis pas que cela ne soit pas souhaitable (hormis cette possibilité, il ne reste que le chaos ou l'expérimentation au cas par cas pour trouver des modus vivendi, c'est-à-dire la lutte, littérale dans un cas, darwinienne dans l'autre), mais je me dis que c'est très théorique. Il serait peut-être bon de s'interroger d'abord sur ces fondamentaux, sur leur présence ou non dans les différentes régions du monde, pour voir si et comment on peut édifier ce monde merveilleux de diversité culturelle sans lutte à mort ni exploitation dont rêve Wolton.