Dixième jour. Enfin, le beau temps! Je lève le volet électrique de ma fenêtre et je découvre une mer étale, un ciel bleu... Je décide d'en profiter pour aller faire une longue balade sur l'Acropole et d'aller au marché, qui a lieu tous les jeudis près du stade.
La femme de ménage frappe à la porte alors que je déjeune. Surpris, je laisse tomber ma biscotte beurrée et miellée sur le clavier de mon ordinateur. J'ai lu quelque part une étude très sérieuse sur ce phénomène qui s'explique très scientifiquement : la tartine retombe toujours du côté beurré... La femme de ménage, qui ressemble à une catcheuse avec sa tête toute ronde, sa queue de cheval et ses énormes seins, me dit, amène: "vous sortez de la chambre, que je fasse le ménage". Je n'ai pas pris ma douche, je lui demande trente minutes. Elle soupire et s'en va s'en répondre.
J'emprunte les escaliers qui partent juste derrière le Centre. Quelques marches, et une vue superbe sur la presqu'île se révêle. La côte turque se découpe clairement en face, et on voit de grands ferrys traverser le détroit. J'arrive vite à une sorte de plateau, bordé par la falaise, où se trouvait une des deux acropoles de la ville antique. Je sens pour la première fois les odeurs familières de la méditerranée, des herbes, un vague souvenir de jour sec et chaud qui monte du sol incroyablement vert et fourni, plus vert que mon potager en été. Je reconnais des trêfles, de l'ortie, des belles de nuit, une sorte de romarin, des ombellifères comme la cigüe commune, le fenouil, la carotte sauvage... Et partout, des ricins poussent grands comme des arbres.
Les temples de Zeux poliarque et de sa fille Athéna sont littéralement de petits champs de pierre. Visiblement les monuments anciens ont servi aux Byzantins, aux Chevaliers puis aux Ottomanes de carrière. Ce qui reste au sol est même trop peu pour être appelé ruines... Deux vaches paissent au milieu d'un pré. Plus bas, trois colonnes doriques relevées symbolisent le temps d'Apollon Pythien, à côté de ce qui fut un sanctuaire à Artémis. L'endroit ne manque pas de charme. En contrebas, sur des terrasses découpées avec un sens clair du paysage, j'aperçois le petit théâtre et le stade. Je ne peux refouler les rêveries que hier je méprisais sur la mortalité des civilisations. J'imagine cet espace avec ses beaux bâtiments couverts de stucs de couleur, majestueux dans le soleil, avec ces hommes en toge, les athlètes nus s'entraînant plus bas dans l'immense gymnase, sous la stoa duquel les fameux rhéteurs de l'école rhodienne dispensaient leurs cours... Il ne reste rien que l'imagination pour témoigner de tout cela, et les textes qui nous en ont donné le prétexte. Je descends par le théâtre reconstruit en marbre par les Italiens et le stade, très bien préservé avec ses sièges de pierre. Il me vient des pensées en ce lieu qui mariait cultes religieux, rituels démocratiques de la cité, spectacle et sports. Un ensemble idéologique, ma foi, assez classique, que j'aurais dû plus prendre en compte dans ma tentative de compréhension de la Pyongyang contemporaine. L'effort du régime pour intégrer les sports dans la ville sur l'axe du culte de la personnalité de Kim Il Sung n'est pas fortuit. Ce n'est pas simplement le désir d'offrir aussi un culte à la Jeunesse. Il y a quelque chose de plus "anthropologique" dans ce besoin de lier symboliquement les dieux du stade aux dieux de la Cité, afin de construire un sentiment plus fort et plus grand de la nation. A explorer.
Plus bas, dans un quartier assez plaisant composé d'immeubles neufs et de maisons anciennes entourées de jardins hirsutes et de vergers d'orangers abandonnés, on trouve des restes de maison hellénistique et d'un vague palais. Ces sites sont juste conservés ainsi à l'air libre, sans aménagement ni explication, une vague barrière rouillée empêche théoriquement les visiteurs de s'en approcher - mais qui voudrait s'approcher de ces crevasses, de ces amas de pierres et de mauvaises herbes? Je comprends que les terrains vagues apercus jusqu'ici sont des champs de ruines, qu'une loi patrimoniale protège miraculeusement de la destruction, mais que le manque de moyens empêche d'entretenir ou de rendre accessible. C'est le niveau zéro du patrimoine.
La femme de ménage frappe à la porte alors que je déjeune. Surpris, je laisse tomber ma biscotte beurrée et miellée sur le clavier de mon ordinateur. J'ai lu quelque part une étude très sérieuse sur ce phénomène qui s'explique très scientifiquement : la tartine retombe toujours du côté beurré... La femme de ménage, qui ressemble à une catcheuse avec sa tête toute ronde, sa queue de cheval et ses énormes seins, me dit, amène: "vous sortez de la chambre, que je fasse le ménage". Je n'ai pas pris ma douche, je lui demande trente minutes. Elle soupire et s'en va s'en répondre.
J'emprunte les escaliers qui partent juste derrière le Centre. Quelques marches, et une vue superbe sur la presqu'île se révêle. La côte turque se découpe clairement en face, et on voit de grands ferrys traverser le détroit. J'arrive vite à une sorte de plateau, bordé par la falaise, où se trouvait une des deux acropoles de la ville antique. Je sens pour la première fois les odeurs familières de la méditerranée, des herbes, un vague souvenir de jour sec et chaud qui monte du sol incroyablement vert et fourni, plus vert que mon potager en été. Je reconnais des trêfles, de l'ortie, des belles de nuit, une sorte de romarin, des ombellifères comme la cigüe commune, le fenouil, la carotte sauvage... Et partout, des ricins poussent grands comme des arbres.
Les temples de Zeux poliarque et de sa fille Athéna sont littéralement de petits champs de pierre. Visiblement les monuments anciens ont servi aux Byzantins, aux Chevaliers puis aux Ottomanes de carrière. Ce qui reste au sol est même trop peu pour être appelé ruines... Deux vaches paissent au milieu d'un pré. Plus bas, trois colonnes doriques relevées symbolisent le temps d'Apollon Pythien, à côté de ce qui fut un sanctuaire à Artémis. L'endroit ne manque pas de charme. En contrebas, sur des terrasses découpées avec un sens clair du paysage, j'aperçois le petit théâtre et le stade. Je ne peux refouler les rêveries que hier je méprisais sur la mortalité des civilisations. J'imagine cet espace avec ses beaux bâtiments couverts de stucs de couleur, majestueux dans le soleil, avec ces hommes en toge, les athlètes nus s'entraînant plus bas dans l'immense gymnase, sous la stoa duquel les fameux rhéteurs de l'école rhodienne dispensaient leurs cours... Il ne reste rien que l'imagination pour témoigner de tout cela, et les textes qui nous en ont donné le prétexte. Je descends par le théâtre reconstruit en marbre par les Italiens et le stade, très bien préservé avec ses sièges de pierre. Il me vient des pensées en ce lieu qui mariait cultes religieux, rituels démocratiques de la cité, spectacle et sports. Un ensemble idéologique, ma foi, assez classique, que j'aurais dû plus prendre en compte dans ma tentative de compréhension de la Pyongyang contemporaine. L'effort du régime pour intégrer les sports dans la ville sur l'axe du culte de la personnalité de Kim Il Sung n'est pas fortuit. Ce n'est pas simplement le désir d'offrir aussi un culte à la Jeunesse. Il y a quelque chose de plus "anthropologique" dans ce besoin de lier symboliquement les dieux du stade aux dieux de la Cité, afin de construire un sentiment plus fort et plus grand de la nation. A explorer.
Plus bas, dans un quartier assez plaisant composé d'immeubles neufs et de maisons anciennes entourées de jardins hirsutes et de vergers d'orangers abandonnés, on trouve des restes de maison hellénistique et d'un vague palais. Ces sites sont juste conservés ainsi à l'air libre, sans aménagement ni explication, une vague barrière rouillée empêche théoriquement les visiteurs de s'en approcher - mais qui voudrait s'approcher de ces crevasses, de ces amas de pierres et de mauvaises herbes? Je comprends que les terrains vagues apercus jusqu'ici sont des champs de ruines, qu'une loi patrimoniale protège miraculeusement de la destruction, mais que le manque de moyens empêche d'entretenir ou de rendre accessible. C'est le niveau zéro du patrimoine.
Je descends au milieu des hibiscus et des bougainvillés vers le centre moderne plus au sud du centre historique, où je pénètre pour la première fois. Ici se dressait autrefois jusqu'à la période byzantine une immense nécropole. C'est maintenant une vaste zone résidentielle composée de rues tirées au cordeau, où s'alignent invariablement des petits immeubles de rapport de 2-3 étages, des résidences en forme de bloc dotés de balcons, de couleur blanche ou beige... L'architecture méditerranéenne la plus classique... J'y croise beaucoup de voiture, il y a une animation inaccoutumée plus au nord. Des commerces enfin, supermarchés, boulangeries, boucheries... Mais toujours pas de poissonnerie... Le quartier est populaire, il y règne une vague odeur de lessive et d'ennui un peu déprimante. J'arrive au parc dit de la tombe de Saint-Jean. Je ne pense pas qu'il s'agisse de Saint Jean l'Evangéliste, qui rédigea l'Apocalypse dans une grotte de Patmos, dans le Dodécanèse - avec qui je pourrais m'identifier actuellement... En fait, ce Saint Jean est censé avoir été enterré en Turquie. Quand au Jean de l'Ordre des Hospitaliers, il s'agit de Jean le Baptiste, certainement pas enterré ici... Peu d'informations, même dans les guides. Il doit s'agir d'un petit saint, qui faisait des petits miracles locaux... En tout cas, le parc est fermé. Toutes les tombes anciennes du quartier annoncées par les panneaux s'avèrent être des terrains vagues inaccessibles. Je laisse tomber. Je préfère aller faire mon marché à Carrefour, juste à côté de Saint-Jean.
Hiver? Crise? Je suis terriblement déçu par le choix offert par les supermarchés et grandes surfaces. La variété est très limitée, surtout dans le rayon frais. Les fromages sont presque tous importés. Il y a bien sûr un grand rayon fêta, mais plus orienté sur la quantité que la diversité. Les rayon olive est étique. La poissonnerie a surtout des poissons séchés comme la morue, très peu de frais. Les laitages, que j'attendais être riches et multiples, sont eux aussi ennuyeux. La charcuterie locale semble inexistante...Faire ses courses est déprimant. Je vais aller faire un tour au marché de rue près du stade.
En remontant vers le nord, les rues sont plus jolies, bordées de pins ou de palmiers, on trouve quelques villas italiennes cossues. Le long du mur sud de l'enceinte de la forteresse, le petit marché hebdomadaire étale ses stands de fruits et légumes. Ce n'est pas bien gai non plus, ces légumes d'hivers palots... Il y a de temps en temps une légume inattendue, un céleri-rave, un chou chinois, même des radis daikon... Et beaucoup de petites betteraves, légume que je ne connaissais pas dans la gastronomie locale... Un stand unique de poissons propose quelques rares goujons minuscules... Rhodes n'est-elle pas une île? Les pêcheurs doivent avoir troqué leurs filets contre les bouteilles de plongée et les tubas pour touristes. J'achète tout de même des mandarines pour ne pas dire que je suis venu en badaud.
Hiver? Crise? Je suis terriblement déçu par le choix offert par les supermarchés et grandes surfaces. La variété est très limitée, surtout dans le rayon frais. Les fromages sont presque tous importés. Il y a bien sûr un grand rayon fêta, mais plus orienté sur la quantité que la diversité. Les rayon olive est étique. La poissonnerie a surtout des poissons séchés comme la morue, très peu de frais. Les laitages, que j'attendais être riches et multiples, sont eux aussi ennuyeux. La charcuterie locale semble inexistante...Faire ses courses est déprimant. Je vais aller faire un tour au marché de rue près du stade.
En remontant vers le nord, les rues sont plus jolies, bordées de pins ou de palmiers, on trouve quelques villas italiennes cossues. Le long du mur sud de l'enceinte de la forteresse, le petit marché hebdomadaire étale ses stands de fruits et légumes. Ce n'est pas bien gai non plus, ces légumes d'hivers palots... Il y a de temps en temps une légume inattendue, un céleri-rave, un chou chinois, même des radis daikon... Et beaucoup de petites betteraves, légume que je ne connaissais pas dans la gastronomie locale... Un stand unique de poissons propose quelques rares goujons minuscules... Rhodes n'est-elle pas une île? Les pêcheurs doivent avoir troqué leurs filets contre les bouteilles de plongée et les tubas pour touristes. J'achète tout de même des mandarines pour ne pas dire que je suis venu en badaud.

Je pénètre dans la forteresse par une porte médiévale toute en machicoulis et meurtrières. J'arrive dans la partie sud-est de la vieille ville qui accueillait la communauté juive, les seuls "étrangers" que les Ottomans laissèrent résider avec eux dans la citadelle. Bien sûr, le quartier a été décimé pendant la dernière guerre avec 1608 Juifs déportés dans les camps allemands... Les habitants déportés, le bombardement des Anglais en 1944, les Ottomans quittant le quartier eux aussi à l'arrivée des Italiens, presque un siècle d'incurie et de destructions. Cette partie de la ville porte encore les stigmate s du temps. Les restaurations y sont plus discrètes que dans la partie nord, vers la rue Socratous ou des Chevaliers, où se concentrent les touristes et les commerces qui leurs sont destinés. Du coup, le coin a plus de charme, il est habité, populaire, a gardé un semblant de vie et un air d'authenticité. Il se dégage un charme irrésistible de ces ruelles labyrinthiques où se mêlent les styles médiévaux, ottoman, italien à l'occasion... Des mosqiées de poches, anciennes églises chrétiennes dotées d'un minaret pour enfant, occupent des petites places plantées d'oliviers et de palmiers. Des fleurs partout. Plus que les habitants, je croise les chats, des milliers de chats, tous plus beaux les uns que les autres, bigarrés, aux fourrures superbes, gras comme des pachas... Dans la partie touristique où j'arrive enfin, à partir de la place des Martyrs, la multitude des restaurants, bars, boutiques touristiques, tous fermés, n'augure rien de bon en été... Ce doit être ici une marée humaine. Je suis heureux d'être seul dans cette ville fantôme. Mes sacs à la main, je me perds longuement dans les venelles.
Je reviens vers l'agora nouvelle, sorte de marché couvert d'inspiration turque sur le port. J'y ai repéré un restaurant qui paraît-il est très bien. C'est une petite taverne avec quatre-cinq tables seulement, un bar avec des ouvriers qui prennent un pot, et à toute heure de la journée, des locaux qui viennent partager des plats de meze. Enfin, je me régale... La cuisine est simple, mais savoureuse, basée sur des produits frais. Pas de moussaka ni de souvlaki, pas de "plats cuisinés", peu de viande, l'accent sur le poisson, les légumes (beaucoup de haricots et pois) et le fromage... On retrouve les essentiels de la cuisine grecque! Salade de betteraves (voilà!) accompagnée d'une délicieuse pâte noix-miel-ail, du riz à l'encre et à la seiche, de merveilleux beignets de courgettes légers, croustillants, farcis de tomates et recouverts d'une pluie de fine fêta... Je rentre heureux.
Je reviens vers l'agora nouvelle, sorte de marché couvert d'inspiration turque sur le port. J'y ai repéré un restaurant qui paraît-il est très bien. C'est une petite taverne avec quatre-cinq tables seulement, un bar avec des ouvriers qui prennent un pot, et à toute heure de la journée, des locaux qui viennent partager des plats de meze. Enfin, je me régale... La cuisine est simple, mais savoureuse, basée sur des produits frais. Pas de moussaka ni de souvlaki, pas de "plats cuisinés", peu de viande, l'accent sur le poisson, les légumes (beaucoup de haricots et pois) et le fromage... On retrouve les essentiels de la cuisine grecque! Salade de betteraves (voilà!) accompagnée d'une délicieuse pâte noix-miel-ail, du riz à l'encre et à la seiche, de merveilleux beignets de courgettes légers, croustillants, farcis de tomates et recouverts d'une pluie de fine fêta... Je rentre heureux.