Je vais voir Angeliki dans son bureau pour lui dire que je pars vendredi et lui demander de me réveiller le matin, et aussi de me réserver un taxi. Nous discutons. Elle me demande enfin qu’est-ce que j’écris. Je lui explique brièvement. Elle me dit qu’elle aime la cuisine chinoise. Elle lui manque, elle a habité à Hong Kong. Elle a aussi habité à Londres, et pourtant me demande ce qui est connu dans la cuisine indienne. Je lui parle des currys. Elle me dit que bien sûr, elle connaît. Elle me dit que les Indiens et les Chinois n’aiment pas la cuisine grecque, quand ils viennent, ils trouvent que c’est fade. Mais la cuisine grecque est simple et délicieuse. Etc. J’acquiesce. J’acquiesce à tout. Je sens que ce n’est pas une conversation, il s’agit d’Angeliki partageant ses idées sur la gastronomie. Au cas où cela pourrait m’aider pour mon livre. En plus, elle doit me réveiller vendredi matin, donc…
Je lui demande tout de même si elle n’a pas eu envie de rester à l’étranger. Pourquoi elle est rentrée. Et si maintenant, avec son contrat au Centre qui se termine en avril, elle a des projets, des pistes ? Elle est revenue au pays pour s’installer. Se marier. Elle a la trentaine, il faut faire sa vie de femme. On sent qu’elle est revenue à contrecœur, sans vraiment le choix, comme les saumons. Pour l’avenir, elle ne sait pas encore. Elle est professeur d’anglais, mais pas titulaire. Ce sera dur de trouver un job dans l’enseignement, l’éducation nationale est saturée, elle va voir…
Je pars vers le musée d’archéologie situé dans l’hôpital des Hospitaliers de Saint-Jean. Construit par Jean d’Amboise au XVe siècle, c’est le plus grand bâtiment de l’île datant de cette époque qui soit resté en aussi bon état. C’est une bâtisse spacieuse, fonctionnelle, construite autour d’une grande cour avec des dépendances. Une sorte de cube gothique avec le charme indéniable des vieilles pierres, mais une simplicité provinciale… Pas de fioritures, un plan sans surprise, des escaliers qui montent tout droit marche après marche sans rambarde, la même pierre poreuse du cru… L’endroit me séduit cependant par ses espaces, son silence, son vide. Même les œuvres d’art exposées, dans la grand-salle, semblent comme invitées, discrètes le long du mur…
Je me régale. Il y a tant d’années que je n’ai vu d’art grec ou romain de visu… Les stèles des chevaliers sont bien sûr touchantes, mais elles ne vous parlent pas. Elles sont muettes. Comme un visage sans regard. Alors que dans les salles attenantes, les œuvres grecques et hellénistiques tout de suite créent un lien à travers les millénaires… A vrai dire, ce sont des copies petit format d’œuvres célèbres de grands maîtres de l’époque classique que les bourgeois du coin, deux ou trois cents ans plus tard, commandaient pour décorer l’atrium de leur villa. Un peu comme, maintenant, une reproduction de Mona Lisa dans le salon, ou une Vénus de Milo dans le jardin… Un goût bourgeois, on aimait l’Aphrodite dite « pudique » qui, surprise au sortir du bain, fait le geste de relever son voile d’une main, alors que l’autre cache son sein… On a perdu l’original depuis longtemps, alors on se contente de modèles, de pâles reproductions – et ceux qui sont ici sont à Praxitèle ce qu’une pietà en bakélite est à Michel-Ange… Mais à l’ère de la reproduction mécanique de l’œuvre d’art, même une piètre copie d’un atelier d’esclaves du Ier siècle a de l’aura…
Pourtant l’école de sculpture rhodienne était reconnue. C’est elle qui à l’époque hellénistique nous a donné les chefs-d’œuvre baroques que sont le Laocoon du Vatican ou la victoire de Samothrace du Louvre. Mais il n’en reste rien sur place , ou presque. Je suis plus touché par une incroyable tête de femme venue d’une tombe de notable, une œuvre locale sans prétention, d’une présence troublante. Comme aussi cette stèle de tombeau représentant une fille éplorée disant adieu à sa mère. Peut-être que j’aime ces œuvres car elles me parlent d’autre chose au-delà d’elles-mêmes, et que leur expression plastique renvoie à des êtres, des sentiments, des situations très concrètes… Très anciennes, mais toujours palpables.
Au fond du petit parc, dans le jardin d’une ancienne maison ayant miraculeusement gardé son intérieur ottoman à l’intérieur de l’enceinte du musée (et ne l’ayant conservé qu’à des fins muséographiques), sous un portique, de superbes mosaïques romaines sont exposées aux murs. Un petit moment où pointerait le syndrome de Stendhal, si les gardiens ne venaient me chasser : il est trois heures.
Je pars à la recherche du restaurant recommandé par Angeliki dans la ville nouvelle au sud. Quartier gris, un peu déprimant, de villas fermées et de résidences. La taverne est fermée l’hiver. Je fais demi-tour, et rentre manger dans le centre où j’ai comme mes habitudes.
Je lui demande tout de même si elle n’a pas eu envie de rester à l’étranger. Pourquoi elle est rentrée. Et si maintenant, avec son contrat au Centre qui se termine en avril, elle a des projets, des pistes ? Elle est revenue au pays pour s’installer. Se marier. Elle a la trentaine, il faut faire sa vie de femme. On sent qu’elle est revenue à contrecœur, sans vraiment le choix, comme les saumons. Pour l’avenir, elle ne sait pas encore. Elle est professeur d’anglais, mais pas titulaire. Ce sera dur de trouver un job dans l’enseignement, l’éducation nationale est saturée, elle va voir…
Je pars vers le musée d’archéologie situé dans l’hôpital des Hospitaliers de Saint-Jean. Construit par Jean d’Amboise au XVe siècle, c’est le plus grand bâtiment de l’île datant de cette époque qui soit resté en aussi bon état. C’est une bâtisse spacieuse, fonctionnelle, construite autour d’une grande cour avec des dépendances. Une sorte de cube gothique avec le charme indéniable des vieilles pierres, mais une simplicité provinciale… Pas de fioritures, un plan sans surprise, des escaliers qui montent tout droit marche après marche sans rambarde, la même pierre poreuse du cru… L’endroit me séduit cependant par ses espaces, son silence, son vide. Même les œuvres d’art exposées, dans la grand-salle, semblent comme invitées, discrètes le long du mur…
Je me régale. Il y a tant d’années que je n’ai vu d’art grec ou romain de visu… Les stèles des chevaliers sont bien sûr touchantes, mais elles ne vous parlent pas. Elles sont muettes. Comme un visage sans regard. Alors que dans les salles attenantes, les œuvres grecques et hellénistiques tout de suite créent un lien à travers les millénaires… A vrai dire, ce sont des copies petit format d’œuvres célèbres de grands maîtres de l’époque classique que les bourgeois du coin, deux ou trois cents ans plus tard, commandaient pour décorer l’atrium de leur villa. Un peu comme, maintenant, une reproduction de Mona Lisa dans le salon, ou une Vénus de Milo dans le jardin… Un goût bourgeois, on aimait l’Aphrodite dite « pudique » qui, surprise au sortir du bain, fait le geste de relever son voile d’une main, alors que l’autre cache son sein… On a perdu l’original depuis longtemps, alors on se contente de modèles, de pâles reproductions – et ceux qui sont ici sont à Praxitèle ce qu’une pietà en bakélite est à Michel-Ange… Mais à l’ère de la reproduction mécanique de l’œuvre d’art, même une piètre copie d’un atelier d’esclaves du Ier siècle a de l’aura…
Pourtant l’école de sculpture rhodienne était reconnue. C’est elle qui à l’époque hellénistique nous a donné les chefs-d’œuvre baroques que sont le Laocoon du Vatican ou la victoire de Samothrace du Louvre. Mais il n’en reste rien sur place , ou presque. Je suis plus touché par une incroyable tête de femme venue d’une tombe de notable, une œuvre locale sans prétention, d’une présence troublante. Comme aussi cette stèle de tombeau représentant une fille éplorée disant adieu à sa mère. Peut-être que j’aime ces œuvres car elles me parlent d’autre chose au-delà d’elles-mêmes, et que leur expression plastique renvoie à des êtres, des sentiments, des situations très concrètes… Très anciennes, mais toujours palpables.
Au fond du petit parc, dans le jardin d’une ancienne maison ayant miraculeusement gardé son intérieur ottoman à l’intérieur de l’enceinte du musée (et ne l’ayant conservé qu’à des fins muséographiques), sous un portique, de superbes mosaïques romaines sont exposées aux murs. Un petit moment où pointerait le syndrome de Stendhal, si les gardiens ne venaient me chasser : il est trois heures.
Je pars à la recherche du restaurant recommandé par Angeliki dans la ville nouvelle au sud. Quartier gris, un peu déprimant, de villas fermées et de résidences. La taverne est fermée l’hiver. Je fais demi-tour, et rentre manger dans le centre où j’ai comme mes habitudes.