Mes journées jusqu'à maintenant tournent autour du chauffage: avoir chaud, trop chaud, pas assez... Au réveil, ô surprise, on passe dans les chambres pour vidanger les radiateurs! Une heure plus tard, ils sont chauds... Deux heures plus tard, froid à nouveau... Les a-t-on coupés pour économie? Sont-ils à nouveau tombés en panne?
Je montre à Angeliki la bouilloire électrique dont la prise a brûlé. C'était la seule chose avec la cuisinière qui marchait dans la cuisine, et je l'aurais bien prise dans ma chambre après le départ d'Alexander, pour éviter d'avoir à descendre pour le petit déjeuner.
J'en profite pour lui demander des couvertures en plus pour couvrir le sol. La femme de ménage, une espèce de cerbère à la voix roulante et sonore, revient me dire qu'elle ne peut me donner des couvertures pour le sol. Que ce dernier est glissant, que je pourrais me blesser. Je sens confusément qu'il y a une espèce de rapport de force, quelque chose d'irrationnel derrière ce refus. J'insiste un peu - elle me dit qu'elle a reçu des ordres. J'abandonne.
J'attends Alexander depuis une heure pour aller prendre un dernier café avec lui avant son départ. Il tarde à venir et j'ai toujours le ventre vide. Je l'entends enfin, papotant comme un roméo avec les filles pendant leur pause déjeuner. Elles rient comme des adolescentes à ses blagues sur la crise. Il est temps qu'il rentre à Vienne. Nous partons et faisons tout le tour du cap, sans raison. Nous arrivons enfin à ce beau café de l'époque italienne face à l'entrée du port Madriaki, avec son immense dôme art déco. On déjeune de tartines gigantesques en échangeant des tuyaux de résidence. Il en a fait son métier. Il est intarissable, mais échange généreusement ses adresses. La musique est atroce, une soupe techno-variété, qui gâche l'ambiance des lieux. On part. Il y a toujours du vent, un peu de pluie.
Je quitte Alexander devant le cimetière ottoman. Il me dit gentiment que nous devrions nous retrouver dans une résidence pour un projet en commun. Je reste un moment à regarder les tombes hirsutes, les stèles à turban renversées, ce vieux cimentière abandonné à ses arabesques sous une toit d'eucalyptus, gardé par une armée de chats pachas. Sur le côté, la petite "villa" où Lawrence Durell a séjourné deux ans et écrit son livre sur Rhodes.
Je rentre par la rue Amerikis, puis passe par le centre culturel de la ville, une vieille villa, probablement italienne, en semi-ruine dans un parc sauvage et beau. On sent la demeure patricienne avec ses jardins d'hiver, sa grande serre, il devait y avoir ici des bals, des dîners élégants, la vie devait être douce. Tout a disparu, les mandarines gisent au pied des arbres, les asphodèles et autres rudéraires envahissent les allées, les murs sont décrépis, les volets brisés menacent de tomber. Et l'on sent que ce n'est pas seulement l'ancienneté qui menace, mais la pauvreté actuelle qui interdit l'entretien de tout ce patrimoine. On s'inquiète pour Rhodes, pour la Grèce, pour l'Europe entière, trop riche autrefois, trop pauvre maintenant. Décidément, ici, c'est bien une terre de ruines.
Je cherche un docteur. La clinique à côté du centre qui annonce fièrement 24/24 est bien sûr fermée, déserte, comme abandonnée. La pharmacie en face aussi est fermée. C'est étonnant, car dans cette ville il y a peu de supermarchés, peu de docteurs, mais foison de pharmacies, à chaque coin de rue... Les Grecs sont-ils si malades? Ou est-ce parce que les pharmacies vendent aussi des produits de soin, de maquillage, toute la parapharmacie qui pourrait séduire ces Méditerranéens pour qui l'apparence a l'air importante (même si je ne suis toujours pas sensible à leurs efforts en ce sens)?
Je rentre bredouille, les sinus toujours bloqués. Dans ma chambre désormais froide où je dois remettre le climatiseur dont l'air sec bloque encore plus mes sinus... J'entends du bruit dans le couloir, sensément vide. Je sors et tombe sur un homme très fort qui sort de la chambre 8 avec un journal. Son visage est étrangement rouge, comme si je le surprenais et que cela le couvrait de honte. Il s'agit du manager du centre, qui vient de temps en temps se "reposer" là. Je peux lui demander ce que je veux si j'ai un problème. Cela tombe bien. J'en profite pour lui demander concernant le chauffage. Il est en panne, me dit-il, et sera réparé demain. La pluie fait rage, le vent redouble de force, je resterai ici ce soir.
Je montre à Angeliki la bouilloire électrique dont la prise a brûlé. C'était la seule chose avec la cuisinière qui marchait dans la cuisine, et je l'aurais bien prise dans ma chambre après le départ d'Alexander, pour éviter d'avoir à descendre pour le petit déjeuner.
J'en profite pour lui demander des couvertures en plus pour couvrir le sol. La femme de ménage, une espèce de cerbère à la voix roulante et sonore, revient me dire qu'elle ne peut me donner des couvertures pour le sol. Que ce dernier est glissant, que je pourrais me blesser. Je sens confusément qu'il y a une espèce de rapport de force, quelque chose d'irrationnel derrière ce refus. J'insiste un peu - elle me dit qu'elle a reçu des ordres. J'abandonne.
J'attends Alexander depuis une heure pour aller prendre un dernier café avec lui avant son départ. Il tarde à venir et j'ai toujours le ventre vide. Je l'entends enfin, papotant comme un roméo avec les filles pendant leur pause déjeuner. Elles rient comme des adolescentes à ses blagues sur la crise. Il est temps qu'il rentre à Vienne. Nous partons et faisons tout le tour du cap, sans raison. Nous arrivons enfin à ce beau café de l'époque italienne face à l'entrée du port Madriaki, avec son immense dôme art déco. On déjeune de tartines gigantesques en échangeant des tuyaux de résidence. Il en a fait son métier. Il est intarissable, mais échange généreusement ses adresses. La musique est atroce, une soupe techno-variété, qui gâche l'ambiance des lieux. On part. Il y a toujours du vent, un peu de pluie.
Je quitte Alexander devant le cimetière ottoman. Il me dit gentiment que nous devrions nous retrouver dans une résidence pour un projet en commun. Je reste un moment à regarder les tombes hirsutes, les stèles à turban renversées, ce vieux cimentière abandonné à ses arabesques sous une toit d'eucalyptus, gardé par une armée de chats pachas. Sur le côté, la petite "villa" où Lawrence Durell a séjourné deux ans et écrit son livre sur Rhodes.
Je rentre par la rue Amerikis, puis passe par le centre culturel de la ville, une vieille villa, probablement italienne, en semi-ruine dans un parc sauvage et beau. On sent la demeure patricienne avec ses jardins d'hiver, sa grande serre, il devait y avoir ici des bals, des dîners élégants, la vie devait être douce. Tout a disparu, les mandarines gisent au pied des arbres, les asphodèles et autres rudéraires envahissent les allées, les murs sont décrépis, les volets brisés menacent de tomber. Et l'on sent que ce n'est pas seulement l'ancienneté qui menace, mais la pauvreté actuelle qui interdit l'entretien de tout ce patrimoine. On s'inquiète pour Rhodes, pour la Grèce, pour l'Europe entière, trop riche autrefois, trop pauvre maintenant. Décidément, ici, c'est bien une terre de ruines.
Je cherche un docteur. La clinique à côté du centre qui annonce fièrement 24/24 est bien sûr fermée, déserte, comme abandonnée. La pharmacie en face aussi est fermée. C'est étonnant, car dans cette ville il y a peu de supermarchés, peu de docteurs, mais foison de pharmacies, à chaque coin de rue... Les Grecs sont-ils si malades? Ou est-ce parce que les pharmacies vendent aussi des produits de soin, de maquillage, toute la parapharmacie qui pourrait séduire ces Méditerranéens pour qui l'apparence a l'air importante (même si je ne suis toujours pas sensible à leurs efforts en ce sens)?
Je rentre bredouille, les sinus toujours bloqués. Dans ma chambre désormais froide où je dois remettre le climatiseur dont l'air sec bloque encore plus mes sinus... J'entends du bruit dans le couloir, sensément vide. Je sors et tombe sur un homme très fort qui sort de la chambre 8 avec un journal. Son visage est étrangement rouge, comme si je le surprenais et que cela le couvrait de honte. Il s'agit du manager du centre, qui vient de temps en temps se "reposer" là. Je peux lui demander ce que je veux si j'ai un problème. Cela tombe bien. J'en profite pour lui demander concernant le chauffage. Il est en panne, me dit-il, et sera réparé demain. La pluie fait rage, le vent redouble de force, je resterai ici ce soir.